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populaires que jamais, prêchent la guerre sainte. Ces passions simples, ce patriotisme mêlé de fanatisme religieux, cette religion superstitieuse, ces madones à miracles, cette haine féroce des étrangers, sont familiers à Souvorof. Cette révolution lui va au cœur ; il la pénètre, il la dirige, rassurant le paysan, le petit peuple des villes. Il annonce partout la restauration des autels, le rétablissement, en leur gloire, des saintes images, l’expiation des sacrilèges. Aux Cisalpins, il tient le langage que Koutousof tiendra aux Allemands, en 1813, et ils le croient comme feront les Allemands, par illusion intéressée ; mais aussitôt, prenant les déclarations à la lettre, ils réclament l’indépendance, la liberté politique, ce que les Français ont promis sans le donner au gré des peuples ; ce que les Russes promettent autrement et donneront moins encore.

Le 29 avril, Souvorof fit à Milan une entrée solennelle, par la même voie triomphale qu’avait suivie, que devait reprendre Bonaparte. Il se rend, au milieu des acclamations du même peuple, à la cathédrale. Bonaparte n’y était point allé en 1796 ; il profitera de l’exemple en 1800. Souvorof a commandé un service d’actions de grâces ; le clergé l’invite à occuper un siège d’honneur, il refuse ; il s’agenouille sur les dalles, comme la foule. Il reste trois jours à Milan, y établit un gouvernement provisoire, et marche sur le Piémont, où déjà Vakanovitch l’a précédé avec une brigade d’avant-garde. Son objet est de séparer Moreau de Masséna, qui opère en Suisse, et de Macdonald, qui vient de Naples. Macdonald est loin. Souvorof a le temps d’occuper le Piémont et de barrer la route à Masséna.

Il trouve partout les paysans insurgés. Les républicains de la Cisalpine réfugiés à Turin y donnent un spectacle de résistance : autels de la patrie, enrôlemens de volontaires, comme sur les estampes des grandes journées de Paris, en 1792. Le commissaire du Directoire, Musset, s’occupe de sauver le trésor et d’expédier au Directoire la caisse aux contributions ; les soldats français contiennent le peuple. Souvorof a des intelligences dans le pays. Il lance cette proclamation, comme lieutenant des deux empereurs : « Les armées alliées viennent, au nom du souverain légitime, pour le replacer sur le trône… faire triompher la religion, briser le joug de fer imposé au Piémont par ses oppresseurs… garantir les propriétés. » Il termine par des menaces à qui ne se ralliera pas aux défenseurs de la bonne cause. Tout changement est bon aux