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un commissaire enquêteur, le général de Pellieux. Dès ce moment, il aurait été désirable que tout le monde se tût et attendit. Mais c’était trop demander aux mœurs contemporaines. A côté de l’enquête officielle, il y en a vingt qui sont ouvertes ; il y en a même davantage ; et ceux qui les poursuivent se sont désignés eux-mêmes pour cette tâche. Aussi quel zèle, et quelle bruyante activité !

Le gouvernement fait son devoir. Une question a été posée, au Palais-Bourbon, à M. le ministre de la guerre : il y a répondu en termes simples, sobres, réservés. Quelques personnes lui ont reproché de n’avoir pas été assez net, assez affirmatif dans un sens ou dans l’autre : s’il l’avait été davantage, les reproches se seraient produits encore plus dfs sans doute et certainement mieux fondés. M. le général Billot a déclaré que rien n’était venu ébranler dans son esprit l’autorité de la chose jugée, c’est-à-dire qu’il tenait Dreyfus pour coupable. Tout le monde, en effet, doit le tenir pour tel jusqu’à preuve du contraire, et cette preuve n’est pas faite. Le gouvernement le doit plus que tout autre, puisqu’il est chargé de l’exécution de la sentence. S’il avait un doute sérieux sur la culpabilité du condamné, ou une présomption non moins sérieuse sur celle d’une autre personne, ce n’est pas à une enquête préalable qu’il aurait dû procéder, mais bien à la revision du premier procès, ou à l’ouverture immédiate d’une seconde instruction. Mais devait-il, comme on le lui a conseillé d’un certain côté, prendre la responsabilité de dire, avant toute enquête, que la dénonciation formelle venue de la famille Dreyfus était fausse ; ou encore que le dossier de M. Scheurer-Kestner ne contenait rien qui valût la peine de retenir l’attention ? Il lui aurait été difficile et sans doute même impossible de conserver longtemps cette attitude. L’opinion, de plus en plus excitée, ne se serait pas contentée d’une nouvelle et toute simple affirmation. Quelle que fût sa pensée secrète sur toute cette affaire, le gouvernement ne pouvait pas l’écarter de son chemin : il devait l’aborder loyalement. L’honneur de l’armée n’est pas intéressé, s’il y a eu un coupable, à ce que ce soit celui-ci ou celui-là. L’honneur du conseil de guerre n’est pas en cause davantage. S’il fallait admettre comme un axiome qu’un conseil de guerre ne se trompe jamais, on devrait commencer par supprimer la loi qui a fixé les causes de revision et déterminé la procédure à suivre en pareil cas. Dira-t-on que la loi est injurieuse pour le conseil de guerre ? Dira-t-on qu’elle a eu tort de regarder une erreur comme possible ? Personne n’ira jusque-là. Mais, en voyant ce qui se passe, l’émotion qui s’est emparée des esprits, les passions qui commencent à s’allumer de part et d’autre, les jour-