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interviewait avaient fini de l’entretenir d’eux-mêmes et de leurs confrères, il ne manquait pas de leur demander leur avis sur cette belle promesse d’une « renaissance latine ».

Les réponses qu’il recevait, malheureusement, n’étaient pas faites pour le mettre à l’aise. La plupart des écrivains italiens admettaient bien qu’un prochain réveil du génie latin serait la chose du monde la plus désirable : et plusieurs se piquaient même de connaître la forme précise, l’unique forme sous laquelle il pouvait se produire. Mais outre que, sur ce second point, ils n’étaient guère d’accord, chacun assignant à la renaissance latine un programme différent d’après le genre particulier de ses propres travaux, il n’y en avait au total qu’un très petit nombre qui crussent à la proximité d’une telle renaissance. Les uns disaient que la littérature italienne aurait d’abord à se créer une langue ; d’autres, qu’elle aurait à se débarrasser des influences étrangères ; d’autres, au contraire, qu’elle aurait encore à s’en imprégner davantage. Et, — phénomène assez singulier, ou, si l’on veut, assez naturel, — la grande majorité de ces messieurs s’entendaient à exclure, en tout cas, de tout droit à faire partie d’une renaissance latine, présente ou future, celui de leurs confrères qui seul, par l’éclat de ses œuvres, avait ramené sur la littérature italienne les yeux de l’Europe. C’était lui pourtant, M. Gabriel d’Annunzio, qui, on s’en souvient, nous avait donné à tous l’illusion d’un soudain renouveau du génie latin. Mais voilà que, dans l’Italie entière, des juges d’une autorité incontestable l’accusaient, sinon de manquer de talent, du moins d’avoir un talent étranger à l’esprit de sa race, et mieux fait pour entraver que pour produire une « renaissance latine » ! Ils lui opposaient, qui M. Fogazzaro, qui M. Verga, sans compter ceux qui lui opposaient Manzoni, ou encore Pétrarque. Et tout cela avait beau nous être transmis par M. Ojetti sur un ton léger et plein de bonne humeur, notre désarroi n’en était que plus grand. Nous nous disions seulement, en manière de consolation, que si la renaissance latine arrivait à se produire quelque jour, elle trouverait bien le moyen de s’affirmer par des œuvres, sans qu’il y eût besoin d’aucune interview pour nous en certifier l’existence. Et, par ailleurs, une conclusion certaine ressortait pour nous de l’intéressante enquête de l’explorateur italien : qu’il s’agît d’une renaissance ou d’un simple progrès, ou même d’un recul, nous avions l’impression qu’un changement était en train de se produire dans la littérature d’outre-monts. On était las des anciens genres et des anciennes formules ; une inquiétude profonde agitait les esprits, et, d’année en année, la lutte littéraire devenait plus vive. Quelque chose