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en hébreu ; qu’il se promenât dans son jardin ou voyageât sur le continent ; qu’il se mît au courant des plus récentes découvertes ou parcourût quelque manuel de philosophie, quelque traité de physique ou d’histoire naturelle ; qu’il s’entretint avec des physiologistes ou avec de petits bourgeois, avec des astronomes ou avec des paysans, avec des explorateurs célèbres ou avec Garibaldi, à qui il savait gré « d’avoir dans les affaires de ce monde la divine stupidité d’un héros » ; il rapportait, il ramenait tout à la poésie, et sa principale occupation, le premier de ses soins était de chercher partout des inspirations, des sujets et des images ; et ses inspirations furent toujours sincères, ses sujets furent le plus souvent appropriés à la nature de son talent, ses images furent presque toutes d’une remarquable justesse, on sentait qu’il les avait prises à la source.

D’année en année plus sévère pour lui-même, et poussant l’amour de l’exactitude jusqu’au scrupule, toutes les comparaisons, toutes les métaphores qu’il empruntait à la science étaient d’une parfaite correction. Le rouge de la honte lui serait monté au visage s’il s’était permis, comme l’un de nos plus grands poètes, de confondre l’Asie Mineure avec la Syrie et l’Afrique, de remplacer les pistachiers francs de Smyrne, les térébinthes de Chio par des palmiers, et de promener sous leurs ombrages


Des tentes balancées
Au dos des éléphans.


Un grand astronome lui a rendu le témoignage qu’il connaissait admirablement les étoiles, que son astronomie était irréprochable, et on assure qu’il jeta au panier l’une de ses poésies les plus achevées parce qu’un botaniste y avait relevé une erreur. Nous avons tous nos faiblesses : on reprochait à ce poète, qui ne voulait être que poète, d’aimer trop à parler de ses vers, et de se complaire à les réciter, en disant à ses auditeurs : « Eh bien ! qu’en pensez-vous ? ce n’est pas trop mal : Not bad that, is it ? » Il s’aimait ; que ferait-on dans ce monde si l’on ne s’aimait un peu ? Mais, exempt de toute fatuité, il se rendait sans peine aux observations qui lui semblaient justes, et s’admirant beaucoup, il lui en coûtait peu d’admirer les autres : « Un soir, à Farringford, raconte M. Palgrave, il me lut en grec l’Hylas de Théocrite, cette petite idylle belle entre les plus belles. Il me vanta la tendresse, la grâce que respire le passage où le poète nous montre le beau jeune homme, entraîné dans les profondeurs d’une source par des nymphes amoureuses, et ne répondant que par un murmure confus