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autres fleuves descendant en icelle. Elle lutta plusieurs siècles pour affranchir le fleuve ; une corporation puissante pouvait seule empêcher la multiplication abusive des péages. Sur chaque section du fleuve ou détroit un marchand délégué surveillait les ouvriers qui débarrassaient le fleuve des obstacles. Les moulins, terreur de la navigation, ils en réglèrent la position, les dimensions, fixèrent la largeur du chenal sur leurs flancs. Tous les ans on balisait le chenal. Sur la berge, ils entretenaient les hausserées ou chemins de halage, les quais, les digues. Naturellement les seigneurs péagers, qui auraient dû s’acquitter de ces soins, regardaient la Communauté d’un très mauvais œil et souvent même usèrent contre elle de violences : vols, blessures, navrures, emprisonnement et meurtre. Pour subvenir à ses dépenses, ce syndicat de la navigation percevait sur les marchandises en transit un droit de boîte : on en versa d’abord le montant dans des boîtes placées à des postes fixes.

Là comme partout, l’ancien régime devait se montrer hostile à l’initiative privée et à l’esprit d’association.

En 1680, Colbert remit aux intendans le bail du droit de boîte et l’adjudication des travaux de balisage. En 1735, l’ingénieur des turcies et levées est chargé de tout le service de la navigation entre Roanne et Nantes. En 1758, abolition du droit de boîte. Enfin en 1772 un édit supprime les frais de bureau de la Communauté. C’était la tuer. Le gouvernement avait remporté un de ces nombreux succès grâce auxquels il put alanguir, puis supprimer tous les organismes vivans de l’ancienne France. Comme bien d’autres gouvernemens despotiques, il s’emparait de recettes spontanément établies et payées par les habitans, en promettant de s’acquitter des services correspondans. Il devait un jour garder l’argent et oublier l’obligation.

Jusqu’à la Révolution, l’importance économique de la Loire se maintint. Après la guerre de Cent ans, c’est le règne des Valois, cet âge d’or de la vallée de la Loire. C’est la découverte de l’Amérique avec ses métaux précieux, ses pêcheries de Terre-Neuve, plus tard son sucre, son tabac, son café, ses esclaves, qui mettent Nantes au premier rang. Cette richesse se marque encore dans les quais, les ponts, les hôtels de la plupart des villes de la Loire ; beaucoup datent du XVIIe et du XVIIIe siècle. L’écrasement de notre pays en 1763 nous fait trop oublier l’admirable essor de notre commerce à cette époque.