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pourrait signaler, depuis les traductions d’Uhland ou de Guillaume Schlegel tentées par Sainte-Beuve dans les Pensées d’août jusqu’aux adaptations d’Emile Deschamps dans ses Études françaises et étrangères, ou de Gérard de Nerval dans ses Poésies allemandes. Je sais aussi qu’il y eut, entre quelques romantiques allemands et français, des relations personnelles, et qu’après une entrevue qu’il eut avec Tieck, à Heidelberg, Quinet écrivait : « Quand je compare cette verve inépuisable et audacieuse à la langueur, à la poltronnerie de nos lettrés académiques, à leur raideur pédante, j’aperçois deux mondes. » Mais, comme Quinet lui-même, ses contemporains se sont contentés de pressentir au delà du Rhin un « monde » très différent et de l’admirer de confiance, mais de loin. Ç’a été pour eux un prétexte de plus à s’élever, avec Deschamps, dans sa préface des Études françaises et étrangères, contre les haines « gothiques » de l’étranger, et contre « la patrioterie littéraire ».

Et ils n’ont pas pénétré Lien profondément non plus, quoi qu’on en ait pu dire, dans la poésie lyrique des classiques allemands. En dehors de la Lénore de Bürger, dont le sujet fit fortune, ils n’ont emprunté à cette poésie que quelques-uns des thèmes lyriques traités par Goethe et par Schiller, mais non pas le génie même de Schiller ou de Goethe. Oui, le Roi de Thulé a hanté d’autres imaginations encore que celle de Gérard de Nerval, et Eugène Deschamps a traduit la Cloche, et Musset, dans le Rideau de ma voisine, s’est souvenu, semble-t-il, du Selbslbetrug de Goethe. Mais, quand on allongerait encore la liste, déjà assez longue, qu’on a donnée de ces imitations, on ne prouverait pas que Hugo. Lamartine et Vigny ne représentent une poésie lyrique parfaitement originale. Aussi profondément « artistes » qu’il est possible, nos romantiques, malgré leurs professions de foi retentissantes, n’ont jamais perdu de vue ce que leurs contemporains allemands oublient si facilement, je veux dire que l’écrivain, pour exprimer ses sentimens personnels, n’en est pas moins tenu de donner à sa pensée une forme précise et intelligible à tous. « Ce sont, écrivait Gœthe non sans dédain, des natures sociables, et, comme tels, ils n’oublient jamais le public auquel ils parlent ; ils s’efforcent d’être clairs pour persuader leurs lecteurs, et agréables pour leur plaire. »

Il ne paraît pas enfin qu’on puisse invoquer non plus l’influence de Henri Heine. Car, si l’on admet, — et il faut bien