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décadence a priori », ce sont ces ennemies héréditaires que pourchasse gravement l’Académie, dans les heures où il lui plaît de compromettre dans la bataille sa séculaire dignité. C’est contre « le Welche et l’Anglais » que M. Viennet aiguise ses plus fines pointes. Et, dans la séance solennelle du 24 avril 1824, où le romantisme fut dûment admonesté sous la coupole, M. Auger décocha ses épigrammes les plus mordantes contre « ces amateurs de la belle nature qui, pour faire revivre la statue monstrueuse de Saint-Christophe, donneraient volontiers l’Apollon du Belvédère, et de grand cœur échangeraient Phèdre et Iphigénie contre Faust et Gœitz de Berlichingen. » La tradition veut qu’en prononçant ce dernier nom, M. Auger ait produit sur l’auditoire un effet de comique tout particulièrement heureux.

Avouons que, si les romantiques ont fait preuve d’une tendresse peut-être exagérée pour l’Allemagne ou pour l’Angleterre, la faute en est d’abord à leurs adversaires, qui n’ont jamais manqué une occasion d’établir la parenté des théories nouvelles avec les œuvres étrangères et qui, en appuyant lourdement sur ce trait, en ont fait ressortir, en l’exagérant, toute l’importance. Si Mme de Staël, « ce Blücher littéraire », comme l’appelle plaisamment l’auteur des Lettres de Dupuis et Cotonet, a si brillamment achevé son invasion, si la littérature de 1830, victime d’une nouvelle incursion des Cosaques, « portait dans son sein une bâtardise encore sommeillante » et a produit « de certains enfans qui avaient le nez allemand et l’oreille anglaise » ; il faut en accuser avant tout ceux qui ont tout fait pour exciter l’envahisseur et pour le conduire aux pires excès.

Cela dit, l’influence de la littérature allemande, — en tant qu’elle nous a émancipés de la tradition classique, — me paraît s’être exercée surtout au théâtre.

Il importe ici de s’entendre exactement sur la portée d’une telle influence. Il ne s’agit nullement d’établir que le théâtre romantique est une transposition du théâtre de Gœthe, de Schiller, de Kotzebue ou de Werner : une pareille thèse, pour avoir été soutenue quelquefois, surtout en Allemagne, avec ingéniosité, n’en semble pas moins contestable. Et il ne s’agit pas non plus d’établir que la « théorie » du drame romantique nous est venue d’Allemagne, puisque aussi bien cette théorie se trouvait déjà en partie dans Diderot et que les Allemands s’en étaient avisés avant nous. Mais c’est une des illusions les plus dangereuses, quoique