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littéraires le drame romantique envahissant. Et Stendhal ripostait : « L’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne sont entièrement et pleinement romantiques. Il en est autrement en France... »

Classiques et romantiques, c’est, on le voit, sur ce terrain qu’ils ont, dès le début, porté le débat, et cela du consentement formel des deux partis. Jusqu’au triomphe du romantisme au théâtre et jusqu’à la grande bataille d’Hernani, ce que les classiques ont le plus amèrement reproché aux novateurs, c’est de s’inspirer de modèles étrangers et de regarder du côté du lac de Genève, — ce qui veut dire du côté de Rousseau et de Mme de Staël, — introducteurs et patrons de ces doctrines pernicieuses en France. Et l’on peut accorder que ce n’en est pas assez pour nous autoriser à les en croire absolument sur parole ; mais c’en est plus qu’il n’en faut pour établir la réalité des influences septentrionales dans les origines de notre romantisme. Assurément, c’est l’ardeur de la polémique qui entraîne Geoffroy à nous parler des « horreurs anglaises », du « fumier des Allemands » et de la « monstrueuse folie » de Werther, et c’est la polémique aussi qui permet à un romantique de s’écrier, dans le Mercure du XIXe siècle : « Vivent les Anglais et les Allemands ! Vive la nature brute et sauvage ! » Mais la persistance de telles attaques prouve du moins leur sincérité.

C’est bien au nom du conservatisme littéraire que les Dussault, les Geoffroy, les Fiévée, les Auger repoussent ce que Népomucène Lemercier appelle dédaigneusement « ces modèles de l’excellence que la Germanie nous offre sous le titre de système romantique. » C’est parce qu’il pressent que la principale force des doctrines nouvelles leur vient d’outre-Manche ou d’outre-Rhin que Hoffmann demande, après la représentation d’un drame de Schiller, que l’auteur d’aussi « pitoyables rapsodies » soit « fouetté en place publique. » Les deux armées sont en présence, nous affirme un autre classique, à propos d’un livre de Sismondi : l’une porte sur ses étendards les noms vénérés d’Aristote, de Quintilien, de Cicéron, d’Horace, de Boileau ; l’autre — c’est l’armée des Huns et des Vandales — n’a écrit sur ses drapeaux « le nom d’aucun législateur ; on n’y voit briller que ces mots : Ossian, Shakspeare, Kotzebue... » Et ce sont encore ces mêmes littératures du Nord, cette poésie anglaise qui a produit le « monstrueux » Shakspeare et cette poésie allemande dont l’ineffable Dussault affirmait pompeusement qu’elle « languira toujours en quelque sorte dans une