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alors que le médecin agit comme protecteur de la santé d’une famille ou d’une personne. Pendant la première période, quand la maladie n’est pas encore sous la main de la thérapeutique, les témoignages d’affection se prodiguent. Mais, si le malade guérit, qu’il surgisse une question incidente, celle des honoraires ou toute autre, le sentiment de protestation se manifeste. Il n’en est pas toujours ainsi, je le sais ; mais, si la maladie s’est terminée d’une façon fâcheuse, et que la famille n’ait pas obéi à ce second sentiment, elle vous le dit, elle s’en fait gloire, elle est fière de ne pas avoir succombé à la tentation. Tant il est vrai que ce même sentiment existe chez tous !

Actuellement, la vie privée existe à peine, tout se raconte, tout se discute, tout se publie. A côté de l’homme qui pense que les siens ont été victimes du médecin, il se trouve toujours une autre personne qui excite ce sentiment de protestation, de revendication. La plainte, au lieu de s’éteindre, comme autrefois, au sein de la famille ou dans le cercle des amis, se déverse dans la presse, ou aboutit au cabinet du Procureur de la République.

Quel accueil y trouve-t-elle ? Celui que lui vaut la réputation d’honorabilité dont à ce moment la profession médicale est en possession. Qui règle cette appréciation ? Je le dis sans réserve, c’est le corps médical lui-même. Est-ce un dépôt dont il se montre soucieux ? Qui de nous, dans une réunion, dans un dîner, n’a entendu un médecin juger la moralité ou l’habileté de ses confrères ? Si le médisant est en verve, la conversation roulera exclusivement sur les méfaits médicaux. C’est une revue générale ; chacun y a sa place, plus particulièrement ceux dont le nom a une certaine notoriété : on ne jette pas de pierres à un arbre sec, dit un proverbe persan. Mais comment voulons-nous que ceux qui ont entendu des médecins, d’ailleurs honorables, lapider ainsi les hommes que jusqu’alors ils avaient crus dignes de respect, n’ajoutent pas foi aux allégations produites contre un individu faisant partie de la corporation médicale ? En dépréciant ses confrères, on prépare l’opinion publique et la magistrature à la sévérité.

Je sais bien que dans la bouche du médisant les termes n’ont pas la valeur que lui accordent les auditeurs. Nous sommes habitués entre nous à parler de nos confrères en ornant notre discours d’épithètes aiguisées ; nul de nous n’ignore ce que valent ces expressions malsonnantes. Elles signifient seulement que, sur une