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LE DÉSASTRE.

catholique. Un semblant d’armée, 40 000 mobiles sur la Loire, venaient d’être battus à Artenay, à quelques lieues d’Orléans. Une Assemblée nationale devait sortir des élections des 16 et 17 octobre, mais, ce décret ayant été rapporté, elles restaient ajournées à la délivrance du territoire ! La dictature demeurait aux mains de Gambetta. À tant de calamités venait s’ajouter encore l’ingratitude d’un pays qui nous devait tant : l’Italie réclamait la possession de Nice et de la Savoie !

Le 18, le conseil se réunissait pour entendre ce navrant récit, connaître le résultat des négociations et prendre un nouveau parti : Bismarck ne voulait traiter du sort de l’armée, qu’à la condition de la voir rester fidèle au Gouvernement de la Régence, seul capable de faire la paix et de la rétablir. Il fallait donc s’adresser à l’Impératrice. Le général Boyer repartirait tout de suite pour aller la supplier de reprendre le pouvoir, et d’entrer en pourparlers avec le Quartier-général de Versailles. L’armée, par reconnaissance, lui assurerait son appui ; on irait avec elle dans une ville ouverte, où l’on convoquerait les anciens corps de l’État ; là, le Gouvernement impérial serait restauré, la paix signée.

Du Breuil et Décherac passèrent dans la chambre de Restaud une soirée lugubre, chacun complétant ce que disait l’autre, dressant un noir et terrible tableau des misères connues, envisageant tour à tour l’impasse funèbre où Bazaine avait engagé l’armée, et que fermait un mur infranchissable de cimetière.

— En résumé, déclarait Du Breuil, Paris et ses forts tiennent toujours. Quant aux fâcheuses nouvelles répandues par Boyer, elles sont toutes de source allemande. Il n’a pas communiqué au conseil les journaux qu’il a rapportés !… Est-ce parce qu’ils mentionnent des actes modérés du Gouvernement de la Défense nationale et sont en désaccord avec ses récits pessimistes ? — Vous doutez ? fit-il, à un geste de protestation de Restaud : eh bien, oui ! il a rapporté deux journaux ; le médecin du maréchal les a lus !… J’augure mal d’une mission dont le récit commence par un mensonge. D’ailleurs, lui a-t-il été aussi impossible qu’il l’affirme d’interroger des compatriotes ? Il a échangé quelques mots, au retour, avec le maire de Bar-le-Duc. À Versailles, sa présence a causé une manifestation à l’hôtel des Réservoirs, le bruit s’étant répandu de l’arrivée d’un général français. On a dû faire l’impossible pour lui faire parvenir des renseignemens ! Dans la maison qu’il habitait, un barbier, une vieille servante, ont été mis à sa disposition… Si