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LE DÉSASTRE.

Hacks, lire dans ses yeux, comme dans le corps à corps de Rezonville, une ironie déguisée, une morgue courtoise. Le bruit des fanfares grandit. Des filles crottées se ruaient au-devant du vainqueur. Il les suivit. Sur la place Royale, devant la statue du maréchal Ney, un régiment prussien défilait en tenue de parade, enseignes déployées, au son des tambours et des fifres.

Ce tumulte strident, après les mortelles journées de silence, lui révulsa l’être. Il voulut fuir ; des escadrons lui coupèrent la route. À ce moment, un gigantesque cuirassier de la Garde sortit d’une maison. C’était le commandant Couchorte, en grand uniforme. Il s’avançait les bras croisés, la tête haute. Le sang lui injectait les joues. Il lançait des regards terribles. À l’aspect de cet homme transporté d’une héroïque folie, les rangs allemands s’ouvrirent, et le chef de la troupe, ému par tant de douleur, salua du sabre.

Du Breuil s’échappait par la rue de l’Esplanade. Il tomba sur de nouveaux régimens. Pantalons dans les bottes, le cou sanglé par la jugulaire, les lourds fantassins marchaient d’un pas raide et cadencé. Ils avançaient par masse, d’un seul mouvement. Du heurt pesant de leurs talons sur le pavé, ils semblaient piétiner Metz. Les musiques, de toutes parts, éclatèrent, répercutant aux quatre coins de la ville l’orgueil insolent de leur victoire. Et Du Breuil, comme une bête traquée, sentait entrer en lui le fracas assourdissant des fanfares, vibrer jusqu’au fond de sa chair l’hallali triomphal des tambours et des fifres.

III

Le dimanche 30, il se réveilla chez les Bersheim, dans une petite chambre, qui était un coin de ses souvenirs. C’est là que d’Avol blessé exhalait ses rancœurs. C’est dans ce lit que d’Avol couchait. Il entr’ouvrit la porte : des faces pâles reposent, d’un mauvais sommeil, sur les lits de la grande pièce qui sert d’ambulance. Les idées de Du Breuil sont troubles et noires. Aux carreaux, la pluie ruisselle. Il s’habille rapidement, sort sur la pointe des pieds à travers la salle des blessés. L’un d’eux se retourne, un autre pousse une plainte. Du Breuil se trouve dans l’antichambre. Lisbeth, les yeux rouges, balaie : elle veut à toute force qu’il avale une tasse de café noir. Il remercie :

— A-t-on des nouvelles de Bersheim ?