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bien réglée. La déférence témoignée à l’ancien Henry, qui est le Frederick Evans de la société d’Alfred, ma tout le temps frappée, et cependant les femmes sont là en grande majorité.

Un Shaker, que ses écrits dépouillés de galimatias et d’étroitesse donneraient envie de connaître, c’est Giles Avery, l’auteur des esquisses intitulées : Shakers et Shakerisme, imprimées à Albany en 1884. Le langage d’Avery indique des connaissances variées qui ont dû être acquises dans le monde. Il nous dit en commençant que toutes les recherches se portent aujourd’hui vers le pays non découvert qui faisait méditer Hamlet ; on aspire à surprendre ce qui se passe dans la coulisse, on a soif de science ésotérique, d’inconnu, etc. C’est donc le cas de considérer un peu le rôle joué par les croyans à la seconde apparition du Christ. Il est écrit qu’on ne saurait entrer dans le royaume des cieux sans avoir tout quitté ; or, c’est tout quitter que de consacrer à Dieu la propriété commune. L’institution shaker n’est pas une démocratie, c’est une théocratie. Il n’entre dans ce royaume qui est celui du Christ ni homme ni femme selon la chair. Chacun de ses citoyens doit être un ange de lumière travaillant pour le prochain et lui montrant la voie. Non que les Shakers condamnent le mariage en tant qu’institution humaine, mais ils le relèguent dans le monde auquel cet état imparfait appartient ; ils se bornent, quant à eux, à des rapports fraternels, désintéressés, qui participent déjà des affections angéliques.

Leur théologie n’est pas une croyance dans le sens ordinaire du mot, c’est-à-dire une foi définie, limitée, à laquelle aucune révélation ne peut plus rien ajouter. La barque qui les porte flotte, libre et hardie, sur l’océan sans bornes de la sagesse et de l’amour de Dieu. Le vrai salut tient à l’abstention du péché, non pas à la croyance professée dans les mérites de Jésus-Christ. La mort de Jésus sur la croix ne fut que la consommation d’une vie d’obéissance à la volonté de Dieu ; c’est en mourant à la nature corrompue qu’il vainquit le monde et devint le grand médiateur de notre race, mais aucune expiation ne peut se substituer à l’expiation personnelle. Il y a deux créations, l’ancienne et la nouvelle ; Adam et Eve inaugurent l’ancienne création : mariage et génération ; Jésus-Christ inaugure la nouvelle : virginité et régénération. Toutes les âmes doivent s’imposer les mêmes sacrifices que Jésus, aidées en cela par un baptême qui n’est pas celui de l’eau, mais celui de l’Esprit.