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qui apportent ici un élément d’irrévérence et de désordre. Mais il vaut mieux être réduits à un petit nombre que de faire des concessions de principes qui affaibliraient la société bien davantage.

S. se rappelle avoir assisté dans cette grande église, qui pour moi est l’équivalent d’une grange, qui pour ses yeux de puritaine est imposante par sa nudité même, à des danses d’un très grand caractère.

— Oui, lui répondent les sœurs, vous les regardiez dans un bon esprit, mais combien sont venus se moquer de nous ! Aussi évitons-nous maintenant le plus possible de nous donner en spectacle.

Cette crainte de la dérision existe surtout chez les jeunes et me paraît indiquer moins d’ardeur au martyre et au sacrifice qu’il n’en existait autrefois dans la Société. Le véritable esprit shaker consistait à édifier autant que possible les témoins du dehors en célébrant devant eux un culte dont nul ne voyait les ridicules. Et j’avoue que je ne les ai pas vus davantage ; ces danses graves, les hommes d’un côté à la file, les femmes de l’autre, mont frappée au contraire par une sorte de beauté hiératique. Le mouvement des mains étendues pour recueillir les bénédictions ou pour pousser vers le prochain en prière la grâce qu’il demande est d’un symbolisme très noble. Et c’est à peine si les pieds semblent toucher la terre dans cette marche rapide accompagnée d’hymnes sur des airs tantôt très vifs, tantôt remarquables par le retour répété de la même note comme dans la musique orientale. D’après les renseignemens que me fournit, il y a bien des années déjà, la novice parisienne dont j’ai parlé, les premières danses des Shakers ressemblaient en effet à celles des derviches. Elle me disait que, se trouvant seule parmi eux lorsque se manifestaient les exaltations provoquées par ces viremens frénétiques, elle éprouva d’étranges terreurs. Quelques-uns gesticulaient, se renversaient, se penchaient de côté et d’autre comme enivrés ; les femmes surtout dansaient d’une manière spéciale, paraissant mues par des ressorts, droites, raides, ou bien tournant sur elles-mêmes plusieurs minutes de suite. Quand dans de pareils momens elles venaient saluer la pauvre étrangère, ou l’engager à se joindre à elles, celle-ci était plus morte que vive ; tout ce qu’elle pouvait faire c’était de ne pas crier et de garder l’équilibre en se recommandant à Dieu. Bien entendu, je ne fis pas part des impressions de cette Shakeresse plus que tiède à l’ancienne Harriet, mais je lui demandai si l’on ne tournait plus. Elle