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Tout en marchant d’un bâtiment à l’autre, nous rencontrons différens types de Shakers, les uns conduisant sur la route des tombereaux, des charrettes, les autres cassant du bois : de jeunes garçons en manches de chemise, tous bien portans et réjouis, un vieillard de quatre-vingt-cinq ans qui, si voûté qu’il soit, se rend encore utile. On vit très vieux chez les Shakers. Les nonagénaires ne sont pas rares.

Ce sont les femmes qui prennent soin de la volaille, aussi bien installée qu’elle pourrait l’être à Paris au Jardin d’acclimatation, dans un établissement pourvu de stalles séparées, de mangeoires extérieures. Toutes les espèces sont représentées par les plus beaux échantillons.

Dans les étables, la propreté est aussi méticuleuse qu’ailleurs ; cinquante vaches s’alignent sur une litière sans reproche. Elles ont les cornes sciées près de la tête, ce qui leur donne une apparence étrangement débonnaire ; quelques-unes des jeunes filles que nous avons vues tout à l’heure à l’atelier sont en train de les traire. Il y a dans les occupations une incessante variété. Un petit veau qui vient de naître est l’objet des gâteries générales. Tout nous est montré complaisamment : les bœufs pour le labour, les chevaux de belle race et bien soignés, les greniers à fourrages avec des systèmes ingénieux pour emmagasiner, botteler et hisser le foin. Dans la laiterie où coulent des eaux vives, on nous verse un lait exquis.

La charité que les Shakers professent pour leurs semblables aboutit à une pitié très touchante envers les bêtes de somme et autres qu’ils traitent doucement, mais ils ne se permettent pas le luxe des caresses, ils n’ont pas d’animaux favoris ; le chien est proscrit impitoyablement de leur communauté, peut-être à cause de l’effronterie de ses mœurs. L’ancien Henry qualifie sommairement son espèce de nuisance (fléau). En revanche la nécessité de détruire les souris autorise la présence de beaucoup de chats qui m’ont paru avoir plus qu’ailleurs des mines d’ermite en harmonie avec le lieu.

Le terme de notre promenade est le cimetière planté de noires tablettes d’ardoise arrondies et posées debout ; elles sont uniformes, sauf celle que décore un petit drapeau, les couleurs nationales placées en procession solennelle d’un bout des Etats-Unis à l’autre le 4 juin, jour de « la Décoration », sur toutes les tombes de soldats. Ce détail m’étonne, l’un des traits caractéristiques