Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

métaphysique du monde. « Tandis que les autres arts ont tous rapport à un objet réel, la musique s’adresse à nous directement, sans nous représenter une chose particulière. Elle nous touche directement dans le fond de notre être, sans mettre en jeu nos facultés d’analyse et de raisonnement. » S’il est vrai que tous les arts ont pour but la révélation de l’homme intérieur, il n’est pas moins vrai que « dans tous les arts à l’exception de la musique, cette révélation n’a lieu qu’indirectement et comme par réflexion. Là où les autres arts disent : cela signifie, la musique seule dit : cela est[1]. »

L’idéalisme, c’est-à-dire « la constante subordination du fait à l’idée qui l’engendre ou qu’il fait naître »[2], voilà le caractère essentiel et reconnu du théâtre wagnérien. On a remarqué non sans raison que dans le drame de Wagner ainsi que dans celui de Sophocle ou de Racine, « la fable nous présente des événemens singulièrement tragiques ; mais ce n’est pas sur ces événemens eux-mêmes que le poète attire l’attention du spectateur. Ce qui en fait tout l’intérêt, ce que le drame nous présente avec insistance, ce sont tout au contraire les états d’âme que traversent les personnages, soit qu’ils suscitent ces événemens, soit qu’ils en deviennent les victimes[3]. » Dans sa lettre sur la musique, en tête des Quatre poèmes d’opéra, Wagner s’est abondamment expliqué sur la question de l’intériorité de son drame musical. Pour la première fois dans le Vaisseau Fantôme il se flatte d’avoir fait une large part à ce qu’il appelle les motifs internes de l’action. « Vous trouverez, ajoute-t-il, déjà beaucoup plus de force dans le développement de l’action de Tannhäuser par des motifs intérieurs. La catastrophe finale naît ici, sans le moindre effort, d’une lutte lyrique et poétique où nulle autre puissance que celle des dispositions morales les plus secrètes n’amène le dénouement. »

De même « l’intérêt de Lohengrin repose tout entier sur une péripétie qui s’accomplit dans le cœur d’Elsa et qui touche à tous les mystères de l’âme. » Quant à Tristan et Yseult, si de grands esprits (comme Liszt) l’ont jugé le chef-d’œuvre ou du moins l’œuvre la plus représentative de Wagner, c’est peut-être parce que le sensualisme de la musique y va jusqu’à la frénésie et à la

  1. J. G. Freson, l’Esthétique de Richard Wagner. — Wagner, cité par M. H.-S. Chamberlain (le Drame wagnérien).
  2. M. H.-S. Chamberlain.
  3. .M. H.-S. Chamberlain : Richard Wagner et le génie français. Revue du 15 juillet 1896.