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de l’opinion européenne. L’Espagne devait marquer tout de suite ce qu’elle pouvait faire, ce qu’elle avait pris d’elle-même la résolution de faire, et indiquer en même temps ce qu’elle ne pouvait pas accepter. Elle devait établir le partage des responsabilités ; et sans doute elle en a encouru, mais elle n’est pas la seule qui soit dans ce cas ; les États-Unis en ont leur part. Elle devait enfin revendiquer pour elle seule les droits que lui donne sa souveraineté sur Cuba. L’Espagne ne pouvait pas agir ici comme l’a fait l’Angleterre au Venezuela. L’Angleterre, on s’en souvient, a paru admettre le droit d’ingérence des États-Unis dans toutes les affaires américaines. Cette extrême condescendance a causé d’abord quelque surprise ; puis on s’est rendu compte que l’Angleterre, nation sensée, volontiers réaliste, assez indifférente aux théories et aux doctrines, fût-ce même à celles de Monroe, conformait exactement son attitude et la mesurait à l’importance que pouvait avoir pour elle le conflit qui s’était élevé sur les bords de l’Orénoque. Les intérêts de sa politique générale lui ont paru très supérieurs à cet intérêt particulier. Elle pouvait facilement renoncer à un rêve d’empire à peine ébauché. Une fois la question d’arbitrage réglée, et les limites contestées définitivement établies, elle était sûre de se retrouver chez elle, dans son domaine un peu amoindri peut-être, mais qu’importe ? Elle y restait maîtresse et souveraine, dégagée pour l’avenir de toute intervention américaine. Il n’en serait pas de même pour l’Espagne à Cuba. L’ingérence des États-Unis, si elle venait à s’introduire dans l’administration intérieure de l’île, serait de toutes les heures. Elle y prendrait un caractère permanent, et constituerait bientôt pour le patriotisme espagnol une gêne insupportable. M. Sagasta l’a senti tout aussi bien que M. Canovas, et nous ne disons pas qu’il y ait eu plus de mérite : tous les Espagnols, à ce sujet, sentent et pensent de même. Seulement la situation des libéraux était peut-être plus difficile que celle des conservateurs, parce que le gouvernement des États-Unis n’attendait rien de ces derniers, et qu’il s’était accoutumé à croire qu’il pouvait attendre beaucoup des autres. La vérité est que les libéraux exécutent leur programme, tel qu’ils l’avaient conçu et défini pendant qu’ils étaient dans l’opposition, mais qu’ils n’en sortent pas. Réussiront-ils ? Les insurgés cubains se contenteront-ils de l’autonomie qu’on leur donne ? N’essaieront-ils pas d’obtenir, ou d’arracher davantage ? Comme récompense de l’immense effort qu’ils ont fait, accepteront-ils de se reposer quelque temps à l’étape qu’ils ont atteinte ? Ne tenteront-ils pas d’aller plus loin encore ? Le parti qui, en Amérique, les a jusqu’à ce jour encouragés et soutenus