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d’émulation par les derniers tableaux qu’on nous a tracés de l’atroce bataille des sexes, il s’est dit : — Je ferai plus fort que les Tenailles, que la Loi de l’Homme et que la Vassale. Et il a fait plus fort ; il l’a parfaitement et définitivement fait. D’abord parce qu’il a été, lui, équitable pour le mari ; puis, parce que, sur ces irréductibles conflits entre époux, il a osé et su dire le dernier mot et le plus secret. Ce je ne sais quoi de mystérieux qui peut séparer irrévocablement le mari et la femme, et que nos autres moralistes de théâtre nous indiquaient à mots couverts, M. Brieux, par la bouche furieuse de Julie, l’a dit, sur les planches, devant douze cents personnes assemblées, avec une netteté et une précision, une hardiesse et un emportement qui ne peuvent guère être dépassés.

Cette Julie, assez insignifiante jusque-là et qui s’était tranquillement pliée aux manœuvres indispensables pour pêcher un mari, M. Brieux met en elle, tout à coup, une âme d’insurgée. Antonin la priant d’aller à la messe (à cause de sa clientèle, qui est catholique), Julie lui déclare qu’elle n’ira pas, et qu’elle entend être libre, et que leur mariage sans amour fut une abomination, et qu’il lui est étranger, et qu’il lui fait horreur. Et comme il sourit là-dessus avec fatuité, au ressouvenir de leurs nuits, elle lâche tout. Oui, c’est vrai, la première approche de son mari a beau lui être odieuse, elle finit, malgré elle, par sentir du plaisir dans ses bras, un plaisir déshonorant, pour lequel elle le hait d’autant plus et se méprise elle-même, et qui fait que, la brutale ivresse dissipée, elle pleure des larmes de honte et de désespoir qu’il prend, l’imbécile ! pour des larmes de reconnaissance et d’amour. Et, chose étonnante, le banal Antonin, secoué par cette audacieuse confession, comprend à son tour. Il se défend très bien ; il n’a plus, à ce moment-là, ni vanité ni sottise ; il reconnaît que leur mariage ne fut qu’un marché déloyal et bas ; mais il établit très nettement que, dans cette œuvre de mensonge, Julie eut sa large part de responsabilité. Elle en convient, et ainsi tous deux s’avouent coupables, et dès lors nous sentons bien qu’ils ne sont plus si séparés...

Mais ici la scène « rebondit » ou, si vous préférez, « se retourne », comme disent les matins de l’art dramatique. Revirement funeste, et fatal rebondissement. Julie ayant laissé échapper : « Si au moins j’avais un enfant ! » (elle ne s’est, dit-elle, mariée que dans cette espérance). Antonin redevient soudain le pleutre injurieux qu’il était un quart d’heure auparavant. Il lui fait entendre qu’il ne veut point d’enfant, qu’il n’en aura jamais, qu’il fera toujours ce qu’il faut pour éviter une telle catastrophe. Sur quoi Julie lui revomit toute sa haine au visage. Fou de colère — et de désir — il l’empoigne, veut la traîner