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de pure parade, en laissant aux princes indigènes l’illusion du pouvoir, et en voilant l’action des dirigeans européens. Chaque résidence comprend une ou plusieurs régences, et à côté du résident il y a un ou plusieurs régens. Or, tandis que le résident est toujours un fonctionnaire européen, le régent est toujours un fonctionnaire indigène, appartenant aux plus hautes familles du pays, et souvent même de naissance princière : il porte, suivant l’importance de son rang, le titre de Ràden Adipati, ou celui de Mas Toemenggoeng, ou celui de Pangeran (prince).

Les indigènes sont soumis au régent, leur chef naturel ; quant au résident, le réel détenteur du pouvoir, il ne fait rien que par l’intermédiaire du régent ; mais, pour dissimuler son autorité, il se fait passer aux yeux des indigènes comme le « frère aîné » du régent, et c’est sous forme de « recommandations » qu’il donne des ordres à son frère. Cette formule, qui passerait pour banale chez nous, a une haute signification parmi les Javanais, car à leurs yeux le frère aîné, à défaut du père, est le chef de la famille, respecté à ce titre par ses frères cadets, mais considéré toujours comme frère et non comme chef officiel. Puisqu’ils sont frères, le régent éclaire le résident de ses conseils : le fonctionnaire européen est même tenu de prendre l’avis du fonctionnaire indigène, lorsque les intérêts de la population indigène sont en jeu ; le frère cadet est le conseiller intime du frère aîné dans tous les cas où celui-ci doit être éclairé sur la condition du peuple ; mais, quand le résident a pris sa décision sur l’avis du régent, celui-ci, en bon frère cadet, doit s’incliner, quelle qu’elle soit.

Le régent, qui n’a que le semblant du pouvoir, en a, en revanche, toutes les marques extérieures qui peuvent éblouir la foule ; afin qu’il puisse tenir son rang et s’octroyer le luxe d’une cour asiatique, il est mieux payé que le résident lui-même ; il a un droit de préséance supérieur à celui de tous les fonctionnaires européens autres que le résident ; il s’entoure du faste d’un prince, tient une cour où les indigènes, même les membres de sa famille, ne rapprochent qu’à genoux, dispose d’une suite nombreuse, exerce son contrôle sur tous les chefs indigènes de la régence ; en un mot, il est, aux yeux des indigènes, leur seigneur et maître. À cette autorité matérielle il joint l’autorité spirituelle, car il est aussi leur grand prêtre ; il est encore leur juge, car il fait partie du Landraad, et il préside la cour de régence. On le voit, le régent est tout en apparence, mais c’est son frère aîné qui le