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L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,
J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle…
C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris ! »

La déesse avait fui sur sa conque dorée,
La mer nous renvoyait son image adorée,
Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.


Gérard de Nerval savait parfaitement qu’il n’avait été l’ombre d’un grand poète que dans les Chimères, et grâce à ce qu’il appelait ses « descentes aux enfers. » Il dit dans la préface des Filles du Feu[1], écrite en 1854 et adressée à Alexandre Dumas : — « Et, puisque vous avez eu l’imprudence de citer un des sonnets composés dans cet état de rêverie super-naturaliste, comme diraient les Allemands, il faudra que vous les entendiez tous… Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hegel ou les Mémorables de Swedenborg, et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible ; concédez-moi du moins le mérite de l’expression ; — la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète… »

Je ne voudrais pas qu’on m’accusât d’identifier le génie avec la folie ; mais les faits sont les faits, et les chiffres sont les chiffres. Les séjours de Gérard de Nerval dans des maisons de santé[2] obligent à reconnaître, quelque répugnance qu’on y ait, qu’il était presque complètement fou quand il a écrit ses meilleurs vers, et qu’il n’a possédé le don de l’expression poétique que dans ces seuls momens. C’est pourquoi, avec le sens littéraire qui ne l’abandonnait jamais tant qu’il lui restait une lueur de raison, il se demandait après les accès s’il n’avait pas subi quelque déchéance en recouvrant « ce qu’on appelle vulgairement la raison. »

Le reste de son œuvre est trop intimement lié à sa biographie pour pouvoir en être séparé. Nous en parlerons au fur et à mesure des événemens. Il faut convenir que, jusqu’ici, nous sommes en face d’un fantôme d’écrivain plutôt que d’un écrivain : ses ou-

  1. Il avait réuni, sous ce titre Sylvie, trois petites nouvelles et un essai sur le culte d’Isis (1854).
  2. J’en dois le relevé à l’obligeance du Dr Meuriot, successeur du Dr Blanche. Gérard de Nerval est entré le 21 mars 1841 dans la maison du Dr Blanche père, rue de Norvins, à Montmartre, et en est ressorti le 21 novembre de la même année. Il a séjourné dans la maison de Passy, dirigée par le Dr Blanche fils, du 27 août 1853 au 27 mai 1854, et du 8 août 1854 au 19 octobre suivant, Gérard de Nerval a aussi passé deux mois à la maison Dubois en 1853, au printemps.