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septième étage, dans un très bel hôtel, tout neuf, et qui n’a rien d’américain ou de plus américain qu’un autre, si ce n’est d’être admirablement tenu. Je constate encore ici que, dans une ville où la population de couleur ne s’élève pas à moins de 70 ou 80 000 âmes, le service de l’hôtel est fait uniquement par des blancs. C’est une étrange fatalité ! Tous les autres voyageurs ont logé dans des hôtels extraordinaires. On les inondait de lumière électrique ! On les abreuvait d’eau glacée ! Ils ne pouvaient remuer le bras sans mettre en mouvement toute sorte d’appareils très compliqués, ni s’essayer à faire un pas sans mobiliser des légions de nègres ! Moi, tous mes nègres sont à la cuisine ; et aucun de ces bonheurs d’impression ne m’est encore échu ! D’autres hôtels, il est vrai, dans le bas de la ville, ont une physionomie plus « américaine » avec leur hall, leurs bars, leurs marchands de journaux, de livres, de tabac, leur coiffeur, leurs cabinets de toilette, et le va-et-vient perpétuel qui en rend le séjour même en quelque manière mouvant.

Ce n’est pas cependant que la ville, si l’on excepte cinq ou six grandes rues, ait l’air elle-même très animé ni surtout très affairé. J’aurai besoin tout à l’heure de consulter mon Guide (mon Bædeker, n’y ayant point de Guide français aux États-Unis), pour m’assurer qu’ils sont ici près de cinq cent mille âmes. Est-ce que par hasard les récits des voyageurs m’auraient encore induit en erreur sur l’activité des Américains ? Quelle existence d’épicuriens ou de dilettantes ont-ils donc menée en Europe ceux qui trouvent que l’on vit si fiévreusement et si vite à Baltimore, ou même à New-York ? Ou bien, et ce qui est plus vrai sans doute, n’y aurait-il pas deux, trois, quatre Amériques, dont on aurait le tort de n’en vouloir jamais voir qu’une ? Je ne verrai pas Chicago, ni Saint-Louis, ni San-Francisco ; je ne verrai pas non plus la Nouvelle-Orléans ; mais ici, dans l’Est américain, je ne me sens point dépaysé du tout, et la raison en est très simple. Ce sont les habitudes de la civilisation européenne qui, de jour en jour, deviennent le fond de la leur ; et, réciproquement, si l’Amérique fait faire un progrès à ces habitudes, ce qui lui arrive tous les jours, nous nous empressons en Europe de le lui emprunter.

Par exemple, elles sont monotones, ces interminables rues qui se coupent toutes à angle droit ; et le pittoresque, l’inattendu, la variété des perspectives y manque. Mais depuis tantôt un demi-siècle, au nom de la science et de l’hygiène, est-ce que cet idéal