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me garderai bien de généraliser, — mais la misère n’a l’air d’être ici ni moins profonde, ni moins noire, ni moins irréparable qu’en nos vieux pays d’Europe, et ce ne sont pas encore les Américains qui résoudront « la question sociale ».


Nous sommes maintenant en pleine campagne, et jusqu’ici le trait distinctif du paysage d’outre-mer me paraît être « l’annonce ». On ne voit qu’annonces en plein champ, sur les murs, sur les toits des maisons. Whitefield Cycles, Quaker’s Oat, Mandrake’s Pills, Delicious Teas, savons et dentifrices, eaux minérales surtout, eaux purgatives, boissons toniques, de tous côtés l’annonce crève les yeux, l’annonce voyante, multicolore, énorme, en lettres de trois pieds ; l’annonce « hygiénique » et, si je l’ose dire, l’annonce « digestive ». Est-ce que tous les Américains auraient mal à l’estomac ? et le plus optimiste de tous les peuples, ou qui passe pour tel, en serait-il par hasard le plus dyspeptique ?

Nous marchons à la vitesse moyenne de 70 ou 75 kilomètres à l’heure, qui est la vitesse moyenne des « rapides » de Paris à Nice ou de Paris à Calais ; et naturellement, de cette comparaison, je conclus, sans grand effort, que les chemins de fer américains ne marchent pas plus vite que les nôtres. Le Pennsylvania Railroad a en effet la réputation d’être l’une des meilleures lignes des Etats-Unis. On y mange d’ailleurs assez mal, (et quelque médiocre que soit la cuisine de nos wagons-restaurans, je la préfère à celle du Pullman Car. En revanche, les installations y sont plus confortables que chez nous. Il y a plaisir à voyager dans ces larges fauteuils, et, chemin faisant, si l’on y veut dormir, à songer qu’on ne gênera personne. Mais on n’y fume point, — non plus que dans les autres cars, ceux qui circulent dans New-York, — et, à ce propos, je n’avais point encore vu de pays où un fumeur fût plus embarrassé de son vice.

Me plaindrai-je aussi que le conducteur du train, sans parler de l’employé particulier du Pullman ; vous réveille si souvent pour contrôler votre ticket ? Point de contrôle en Amérique, m’avait-on dit : le voyageur y est traité en « homme » et non pas en « colis » ; point de surveillance au départ, point de surveillance à l’arrivée ; vous montez, vous descendez, vous changez de place sans que personne ait rien à y voir ; — et pour ma part, s’il faut être franc, je n’étais pas autrement curieux de tant de liberté. J’aime assez, quand je voyage, à être traité en colis ! Heureusement