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d’un air décousu, rien que pour les mettre sous deux beaux yeux, des yeux noirs et grands à miracle.

Très différente de l’Inconnue à la grâce apprêtée et mièvre, la femme d’élite à laquelle Mérimée adresse les dernières lettres qu’on vient de publier, est tout cœur, tout élan, tout enthousiasme. Profondément religieuse, elle s’est proposé de convertir Mérimée. Elle travaille avec beaucoup d’ardeur à la tâche ou à la mission qu’elle s’est donnée. Battue sur un point, elle ne se décourage pas et met en avant d’autres argumens. À bout de preuves, elle conclut par ce dernier mot de toute discussion religieuse : c’est qu’il faut croire sans preuves, et qu’à tout prendre, c’est le plus sûr. Pour ce qui est de Mérimée, il n’augure pas bien de l’œuvre de sa propre conversion et n’en attend pas de grands résultats, mais il s’y prête de bonne grâce, traite complaisamment et gravement de l’authenticité des Écritures et de l’essence de la foi. Il ne songe guère à railler et il parle de choses sérieuses avec tout le sérieux et tout le respect qui convient. Il ne se vante plus de son scepticisme, mais plutôt il serait tenté de s’en plaindre : « J’ai, dit-il, le malheur d’être sceptique. » Surtout il est touché de l’intérêt qu’on lui témoigne et qu’il devine sincère autant que noble ; et il en est reconnaissant. Il répond à l’intérêt par la confiance ; et cessant de se tenir en garde, oubliant de se méfier, il laisse échapper des aveux ou des plaintes qui trahissent le besoin foncier de tendresse et font affleurer la sensibilité refoulée.

Car c’est le premier avantage des lettres, que nous y voyions se dessiner très nettement, et sans le secours d’aucuns renseignemens étrangers, les images différentes de ceux et de celles à qui elles sont adressées. Mais en outre, et parallèlement, se découvrent les aspects différens du caractère de celui qui les a écrites. Si Mérimée est positif avec Panizzi, frivole avec la présidente, précieux avec l’Inconnue, grave dans ses dernières lettres, apparemment, c’est que ce sont autant de traits qui se sont mêlés dans la complexité de son caractère. Mais on ne veut l’apercevoir que sous un aspect, qui est aussi bien celui sous lequel il a voulu se faire voir ; sans avoir égard ni aux démentis qu’il s’est donnés, ni même aux retouches apportées par l’âge et par la maladie, on le fige dans une attitude qui, au surplus, est celle qu’il a choisie. Pour lui rendre tout à fait justice, il importe de faire une distinction. Mérimée est sceptique par disposition foncière et complexion naturelle. Il est essentiellement irréligieux, incrédule par incapacité de croire. Il a pour l’humanité en général un mépris sans réserve. L’époque où il vit lui inspire un dégoût tout particulier. Il est donc de toutes