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vraie démocratie ; le sentiment, général aujourd’hui, que les enfans doivent toujours être dans une position supérieure à celle des parens est une corruption de l’esprit démocratique.

Peut-être, à la longue, le grand changement qui est en train de s’opérer dans les fortunes, par suite de la baisse de la rente de la terre et du taux de l’intérêt, que nous avons si souvent signalée depuis vingt-cinq ans[1], pourra-t-il modifier l’état mental de la population française à l’égard de la fécondité conjugale. La richesse, par l’évaporation graduelle du revenu, tend de plus en plus à perdre son caractère de perpétuité ; la fortune, même la grande fortune, ne pourra plus représenter l’aisance prolongée pendant une série de générations. Il est possible que, lorsqu’on sera devenu plus familier avec ce phénomène, qui est, au point de vue social, le plus caractéristique et le plus important de notre époque, on éprouve moins d’appréhension devant la division d’un avoir devenu naturellement plus stérile. L’abaissement du taux de l’intérêt pourrait à la longue produire un revirement heureux : il en résulterait un attachement moins exclusif aux avantages de la richesse, une plus grande confiance dans le résultat des efforts propres de l’homme ; la famille française se trouverait en partie dégagée des préoccupations sordides qui l’accablent aujourd’hui. La colonisation, si elle venait à se développer, pourrait aider à répandre ces sentimens ; on s’habituerait à avoir des enfans, dont les uns iraient au loin, tout au moins pour y ramasser un certain avoir. Pour ces modifications dans l’étroite et assez basse conception que beaucoup de Français se font aujourd’hui de la famille, il faut le concours de toutes les forces morales. Il faut aussi du temps. Il conviendrait, en outre, de s’occuper de réduire notre mortalité, qui est sensiblement plus forte, — de près de 10 pour 100, — que celle de l’Angleterre et de la Belgique.

Même en espérant un élargissement de l’horizon familial, qui ramène chez nous la fécondité disparue, il est certain que d’autres mesures s’imposent à la prévoyance gouvernementale en France. Nous n’avons que 71 habitans par kilomètre carré, quoique notre sol, sinon notre sous-sol, soit un des meilleurs du monde. Nous ne nous maintenons à cette densité, en soi mesquine, que par la présence de plus de 1 million d’étrangers sur notre territoire. Comme nous sommes entourés de peuples à la fois moins riches

  1. Voir notre Essai sur la Répartition des richesses et la tendance à une moindre inégalité des conditions.