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ceux de la montagne font, pour venir prier dans les églises de la côte, le même chemin qu’ils referont deux mois plus tard, pour aller moissonner dans la plaine. Parmi les lieux saints vers lesquels se dirigent les foules des paysans, il n’en est pas un dont la vogue soit récente. Tous ont été vénérés depuis des centaines d’années. C’est à la fin du XIe siècle que le corps de saint Nicolas fut apporté en Pouille par les marins de Bari, et mille ans avant que l’archange saint Michel ne fût invoqué à la fois par les armées ennemies des Byzantins et des Lombards, la grotte du Gargano recelait un oracle de Calchas.

L’itinéraire du grand pèlerinage de mai est ainsi fixé pour les troupes les plus nombreuses, celles qui descendent de la Molise et des Abruzzes : d’abord les sanctuaires du Gargano, c’est-à-dire, outre la célèbre basilique de Monte-Sant’Angelo, l’antique ermitage de Pulsano, sur la crête du promontoire, face aux lagunes de Salpi, et le couvent de San-Malteo, près du bourg de San-Marco-in-Lamis ; dans la plaine de Capitanate, l’Incoronata, près de Corvaro, une chapelle dans un bouquet d’arbres, où l’on vénère une icône cent fois repeinte qui fut découverte par un chasseur sur un chêne de la forêt immense qui s’étendait autrefois tout autour de Foggia ; puis les pèlerins reviennent à la côte et la suivent jusqu’à Bari. Pour parcourir une route aussi longue, il en est peu qui profitent du chemin de fer. Chaque village s’embarque sur deux ou trois carrioles, celles qui servent aux champs. On les couvre d’une bâche tendue sur des pieux, on y fixe en travers de longues planches, qui dépassent de chaque côté les flancs de la voiture primitive ; les femmes et les enfans s’empilent dans l’intérieur ; les hommes s’accrochent comme ils peuvent aux pièces de bois qui font saillie ; quelques hardes et quelques provisions se balancent au-dessus des têtes, et un malheureux cheval traîne au petit pas la roulotte improvisée. Beaucoup d’autres paysans suivent à pied ; tous, portant la traditionnelle gourde de fer-blanc en sautoir, s’appuient sur un bâton très haut et très mince, orné d’un rameau de pin. Tout le jour et tout le soir, ils vont devant eux, en chantant presque sans trêve un cantique interminable, et à la nuit noire, ils s’étendent au bord des routes pour dormir quelques heures.

Les voici arrivés à travers la vallée qui se creuse au milieu du Gargano, jusqu’au pied de Monte-Sant’Angelo. Le village dispersé sur le chemin se reforme et monte en rangs serrés à