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amples, serrées brusquement au poignet ; leurs cheveux sont roulés dans de menues tresses de laine verte ou bleue, et leur tête est surmontée d’une coiffure étrange : une sorte de diadème noir serré sur un bandeau blanc. Ces femmes, dans leur costume de veuves, se ressemblent comme des sœurs, et presque toutes sont belles, d’une beauté régulière et grave qui fait penser à l’antiquité et à l’Orient. Nul ne connaît l’origine de leur village et de son nom, et l’on sait seulement que leur dialecte n’est ni grec, ni albanais ; nul n’a découvert d’où leur est venue cette coiffure presque syrienne qu’on appelle la ngappatura. Le dimanche, les femmes de Scanno remplacent leurs tresses de laine par des tresses de soie, et leur bandeau noir par un turban de soie claire ; elles entrent à l’église de leur pas étouffé et vont s’aligner par files dans la nef, serrées les unes contre les autres, non agenouillées, mais accroupies sur leurs talons, comme les femmes musulmanes que Gentile Bellini a groupées autour d’un saint Marc prêchant en Alexandrie.

Au retour du village en silence et en deuil, arrêtons-nous à Sulmona. Dans la ville même, on vend les jours de marché des bonnets tricotés de laine rouge et verte, de purs bonnets phrygiens à oreillettes ; les paysans de la montagne les mettent pour l’hiver, et c’était peut-être la coiffure nationale de quelque peuplade samnite. Ce marché de Sulmona, les samedis, tous les artistes qui passent à Rome devraient aller le voir entre deux trains pour admirer la noblesse d’une race demeurée immuable depuis le temps où les montagnes des Abruzzes étaient le dernier refuge de l’indépendance italienne contre la conquête romaine. Les paysannes d’Introdacqua conservent le prototype du costume qu’on retrouve plus ou moins altéré dans toute la région des sandales en cuir brut, dans la sciosciaria, jusqu’aux villages sabins et latins. Au lieu du corset baleiné qu’ont adopté les contadines romaines, les femmes des environs de Sulmona portent sur le dos et sur la poitrine deux carrés d’étoffe brodée, rattachés l’un à l’autre par de grosses fibules d’argent. Ainsi vêtues, leurs têtes massives chargées du lourd voile rayé et de la conque de cuivre rouge, elles sont les copies vivantes et admirables des femmes italiotes du vu" siècle avant Jésus-Christ, dont l’image grossière nous est conservée, au musée de Bologne, par les reliefs du célèbre vase d’argent. En Calabre, on peut reconnaître à leur type et à leur vêtement qui accentue les traits du visage, les superbes bâtards