Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ce premier malheur fut pour François-Joseph la première leçon. Il se retrouva, la paix signée, avec des frontières entamées et des finances à bout ; dans le vaste silence de l’empire, il entendit l’accusation muette des peuples ; et dès lors il comprit qu’il n’était pas empereur pour lui, mais pour eux.

L’Empereur changeant, c’était l’empire changé. Cinq ans, de 1860 à 1865, se passent en essais, en tâtonnemens, en négociations. Diplôme du 20 octobre 1860, patente du 26 février 1861 ; manifeste et patente du 20 septembre 1865, le trouble et le désordre sont partout : la Hongrie, en ce qui la concerne, ne veut pas de la constitution qu’on lui offre ; elle lui oppose la sienne, celle qu’elle eut autrefois, son droit imprescriptible ; et elle semble prête à rompre avec l’Autriche.

Tout à coup survient Sadowa ; second malheur plus dur, seconde leçon plus pressante. L’Autriche, déracinée, a besoin de reprendre en une autre terre : elle reconnaît une Hongrie historique et vivante, elle se lie avec elle par contrat, à parties égales ; elle l’attire à elle ou plutôt se laisse attirer vers elle : et ce n’est pas seulement une transformation intérieure de la monarchie, qui fait désormais deux au lieu d’un ; c’est l’annonce et l’ébauche d’une transformation de l’Europe. Repoussée du nord et de l’ouest, l’Autriche glisse à l’est et au sud ; cessant définitivement d’être une puissance germanique, elle devient une puissance balkanique ou pro-balkanique, une puissance mixte, à demi occidentale encore et déjà à demi orientale, mais plus occupée de l’orient que de l’occident. Le Compromis de 1867, d’où est sortie l’Autriche-Hongrie des trente années qui viennent de s’écouler, est donc un acte auquel ses conséquences, au fur et à mesure qu’elles se sont développées, ont donné une portée européenne. En refaisant la face politique de l’Autriche, il a touché à la face politique du continent entier ; essentiellement, il consiste en ceci.

L’Autriche et la Hongrie, traitant de pair, forment un État qui prend le nom de monarchie austro-hongroise. L’Autriche proprement dite, — ou les anciens États héréditaires, — est qualifiée d’empire, la Hongrie de royaume. L’empereur d’Autriche est roi de Hongrie ; il le devient dès qu’il est allé à Budapest prêter serment et se faire couronner. Il est roi de Hongrie par le fait même qu’il est empereur d’Autriche, et pourtant il ne l’est pas avant cette formalité du serment et du couronnement à Budapest : Non est rex, nisi coronatus.