Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

facétieux, comme des escarpes loustics. N’est-ce pas vilain en somme, par les façons qu’ils y apportent et par les plaisanteries mêmes qu’ils en tirent, cette chasse fiévreuse à la pièce de cent sous ; puis, dès que l’un d’eux a un peu d’argent, tous sautant dessus comme des Canaques, et Schaunard fouillant dans les goussets de Rodolphe ? Mais au moins voilà une comédie où l’on ne peut pas dire que l’importance de l’argent soit méconnue ou dissimulée !

Notez que les pires gentillesses de ces jeunes gens gardent en elles de quoi agréer à un public moyen. Nous sommes ici fort loin de Lara, de Manfred et des Brigands de Schiller ; ces faux révoltés de Bohêmes ne sont que de simples carottiers. Leur principale préoccupation est de ne pas payer leur terme, — comme celle de leur propriétaire est de toucher ses loyers. Il n’y a pas un abîme entre ces deux dispositions d’esprit. Il est vraisemblable que, le plus souvent, un propriétaire sans entrailles et un locataire sans probité sont gens qui appartiennent à la même espèce morale. M. Benoit aussi, jadis, se fût dispensé de payer sa chambre, s’il avait pu. L’ingénieuse rébellion des Bohêmes contre ce parent de M. Vautour est à la fois de celles qu’une âme vraiment bourgeoise admet le moins (si elle possède elle-même des immeubles), et qu’elle est le plus capable de comprendre. Et il ne faut pas oublier que les neuf dixièmes des spectateurs ne sont que des locataires.

Les amours de la Vie de Bohême ont également de quoi les séduire. Rodolphe, Marcel et Schaunard sont les « amans de cœur » de Mimi, de Musette et de Phémie. Phémie, et Mimi, et même Musette dans ses fugues au « pays latin », sont des maîtresses « désintéressées » (le rêve !) qui ne coûtent rien à leurs amans, que la nourriture — et la boisson (ce dernier « article » peut, à vrai dire, monter assez haut). Même, avez-vous remarqué ? pendant que le poète Rodolphe, n’ayant plus le sou, fume tranquillement des pipes, Mimi travaille de son métier de fleuriste ; à un endroit, elle lui dit qu’elle est allée porter son ouvrage au magasin, mais que, la patronne n’y étant pas, on ne lui a point donné d’argent. Et elle s’en excuse à son ami. Le nourrirait-elle, par hasard ?… Vous pensez si, après cela, il y a un spectateur qui ne voulût avoir été l’amant de personnes aussi économiques ! Et puis, songez ! ce sont des « grisettes » ! et vous savez qu’il n’y en a plus. Elles ont de la fantaisie, de l’esprit et du cœur ! Et il y en a une qui est poitrinaire, et qui se sacrifie à son amant, et qui revient mourir dans ses bras, en disant des choses si touchantes ! si « poétiques » ! Quel joli souvenir, plus tard, pour un quinquagénaire riche, établi et père de famille !

Enfin, l’action même de la pièce est conforme aux vœux de tous les