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De Kojani à Selfidjé, les monts sont calcaires, avec des bancs d’un beau marbre blanc rosé, presque translucide. La plaine est de plus en plus fertile, plantée de beaux arbres, riche en blés, en moutons et en bœufs. La viande d’agneau se vend à Kojani quatre métalliques — environ 20 centimes — les cinq livres ! Et réfléchissez que toute l’armée turque a passé par-là, et qu’elle tire encore de ce pays une partie de sa nourriture. Selfidjé est une assez grosse ville, où l’élément turc est plus important aujourd’hui que par le passé. Le gouvernement ottoman aurait voulu faire de cette extrémité de la Macédoine, qui touche à la Thessalie, une sorte de « marche » peuplée de fidèles. Malgré l’afflux des émigrés venus des provinces annexées par la Grèce, il n’a qu’à moitié réussi, et les mohadjirs, je ne sais trop pourquoi, se sont surtout groupés au nord de la Vistritsa, où les Hellènes ne forment plus que des îlots perdus. Le chemin devient de plus en plus accidenté. Toutes les hauteurs sont surmontés de castrons, vieux châteaux forts qui datent des croisades. Pour passer de la vallée de la Vistritsa, où nous sommes encore, dans celle d’un affluent du Xeraghis, lui-même affluent du Pénée, nous avons, au col de Portaës, à nous élever à près de 1 000 mètres d’altitude. Cependant la route continue encore pendant quelque temps à être d’une étonnante solidité, avec des pentes praticables. Il n’y a que de rares endroits où un bon cycliste devrait mettre pied à terre. Avec son macadam un peu grossier, mais très résistant, enserré dans de larges dalles enfoncées de champ sur le sol, elle a supporté depuis près de trois mois le passage de toute une armée, des canons, des voitures de munitions, et sans se rompre elle s’est usée, régulièrement, en fabriquant de la poussière. Ce travail, commencé depuis deux ans par le gouverneur de la province, lui fait le plus grand honneur. Malheureusement, il n’est pas terminé. A un point donné, la route devient une espèce de piste que le génie a tracée à la hâte, à coups de hache à travers les bois, à coups de mine à travers les rocs. Une batterie de canons est devant nous, en détresse. Il s’agit de franchir un pont de bois, vermoulu, qui s’effondrera très certainement. Le colonel d’artillerie qui nous accompagne considère ce spectacle sans paraître s’y intéresser en aucune sorte. Il a gagné tous ses grades sans bouger, paraît-il, à Constantinople, et se méfie de lui-même. Un jeune adjudant qui nous accompagne prend l’initiative de faire passer la batterie en amont du torrent, la guide, se débrouille