Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

emploi mécanique et artistique, ils décorent les monumens publics et il y a dans les musées des collections de pierres dites autrefois précieuses ; mais l’usage de suspendre tout cela à son cou, à ses oreilles, ou d’en charger ses doigts serait réputé barbare. Donc les paroles du prophète : « Une fille oubliera-t-elle jamais ses ornemens ? » rencontreraient dans la société nouvelle la plus déconcertante des réponses affirmatives. Les femmes ont certes conservé le désir d’être belles, mais il ne tient qu’une place secondaire dans leur pensée parce qu’elles peuvent se passer de plaire. Si souvent ce qu’on mettait sur le compte de leur vanité native était un moyen de s’assurer la préférence, c’est-à-dire le soutien de l’homme ! Maintenant elles n’ont plus besoin de lui. Et elles sont trop éclairées pour croire que la parure contribue toujours, comme dans la vieille chanson, à embellir la beauté ; elles savent que le résultat obtenu en sacrifiant aux caprices de la mode atteignait souvent l’effet contraire. Il n’y a plus de mode, par parenthèse, et de toutes les merveilles c’est peut-être la plus incroyable. Chacun s’habille à sa guise.

— Le Créateur, en façonnant nos corps, a inventé la mode qui est généralement suivie, explique la jeune Edith à Julian son fiancé.

Cela veut dire que les femmes en ont depuis longtemps fini avec les entraves de la jupe. La bicyclette nous le promettait, mais leur goût a prêté d’infinies variétés à ce que Julian West appelle le costume masculin.

— Pourquoi masculin ? réplique la demoiselle avec simplicité. Le costume doit être le même pour les deux sexes puisque leur conformation physique est la même quant aux lignes générales.

L’ajustement des femmes se fait remarquer par des teintes claires qui suggèrent à Julien cette réflexion assez terre à terre :

— Les comptes de blanchisseuse doivent être énormes !

Là-dessus Edith éclate de rire : — Sans doute, si les habits se lavaient, mais on ne les lave plus. Aussitôt sales ils sont jetés de côté, c’est-à-dire qu’on les envoie aux fabriques pour être transformés en autre chose.

— Mais quel gaspillage !

— Non, vraiment tout cela n’est pas bien dispendieux. Combien supposez-vous que coûte mon costume ?

— Je n’en sais rien : une étoffe de soie comme celle-ci…