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quelque injustifiés qu’ils soient ; mais elle s’aggrave, et pour peu que les négociations continentales se prolongent encore pendant plusieurs semaines, l’aggravation deviendra alarmante. On entendra des coups de fusil du côté de la grande île, ce qui fera diversion à la monotonie des télégrammes de Constantinople, télégrammes d’après lesquels la situation évolue et varie sans cesse, sans d’ailleurs se renouveler, et surtout se dénouer jamais.

Il y a là un danger véritable : nous l’avons déjà signalé, mais nous y insistons. Ce n’est pas notre diplomatie qui est coupable, car elle a essayé de résoudre la question crétoise, et elle a fait, dans cette vue, des propositions auxquelles les autres puissances n’ont pas donné suite. L’Angleterre, en particulier, a déclaré qu’il ne fallait pas conduire de front plusieurs affaires, et que chacune viendrait en son temps. C’est elle qui a demandé, imposé, obtenu l’ajournement du problème crétois. Et tout le monde s’est incliné ; non pas que tout le monde fût convaincu de l’à-propos de cet ajournement, dont l’inopportunité sautait aux yeux ; mais parce qu’on ne saurait faire trop de concessions au maintien du concert européen. Soit : qu’on lui fasse toujours de nouveaux sacrifices ! Que deviendrions-nous si, ayant terminé sa tâche, il venait à se dissoudre ? On tremble, rien que d’y penser. C’est pour cela, sans doute, qu’on s’applique à lui garder toujours de la besogne pour l’avenir, sans peut-être songer assez que les interminables et délicates épreuves auxquelles on le soumet pourraient bien, à la longue, amener en lui la dislocation dont il a été menacé plus d’une fois déjà.

Mais pourquoi est-ce toujours l’Angleterre qui crée aux solutions éventuelles des obstacles constamment renouvelés, qui rompt l’accord commun au moment où il parait sur le point de se conclure, et qui s’applique à maintenir en dehors de l’arrangement général des questions qui auraient dû y être comprises, comme si elle voulait garder de quoi exercer plus tard l’ingéniosité de l’Europe, si elle arrive cette fois à sortir d’embarras ? Il y a là une attitude pour le moins équivoque. Nous n’avons jamais fait chorus avec ceux qui dénoncent à tout propos et hors de propos les obscurs desseins de l’Angleterre, et qui découvrent toujours chez elle des pensées de derrière la tête, tenues en réserve pour être mises au premier plan, le temps venu. La perfide Albion est à nos yeux un cliché très démodé. Nous savons ce qu’il y a dans la politique anglaise, prise dans son ensemble, de sens élevé des intérêts de l’humanité, et nous n’avons garde de diriger contre elle des accusations vulgaires. Pourtant, il faut bien avouer que cette po-