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rencontré chez lui la volonté d’accepter ce mandat, sinon pour quelques jours seulement. »

Revenu chez lui après une si longue absence, lassé de tant de voyages, écœuré par la politique, le grand artiste, en effet, avait bien vite repris goût à sa vie studieuse et tranquille. En même temps que sa chère peinture, il avait retrouvé ses fils et ses amis. Bien loin de songer à quitter Anvers, il pensait à s’y refaire un intérieur. Avec son âme tendre, il sentait très vivement, en y rentrant, le vide de cette grande maison, maintenant déserte, où il avait passé des jours si heureux, et son veuvage commençait à lui peser. Bien des fois déjà il avait résisté aux sollicitations de ceux qui rêvaient pour lui quelque union brillante à laquelle sa haute situation lui permettait d’aspirer. Ainsi qu’il l’écrivait plus tard (18 décembre 1634) à Peiresc avec lequel il savait qu’il pouvait s’épancher à cœur ouvert, il n’avait pu se décider « à se fixer à la cour » ; il ne voulait pas d’une femme « qui rougirait de lui voir prendre ses pinceaux » ; et il craignait avec raison « de changer de milieu, de troquer le précieux trésor de sa liberté contre les embrassemens d’une vieille femme. » En parlant ainsi, il donnait une fois de plus la marque de cet esprit judicieux qui avait présidé à toutes les actions de sa vie. Ce qu’il ne disait pas à Peiresc c’est qu’avec sa sagesse et à son âge, il cédait à l’amour le plus passionné en épousant, le 6 décembre 1630, à l’âge de cinquante-trois ans, une fillette de seize ans, cette Hélène Fourment dont la fraîcheur et la beauté enfantine l’avaient complètement séduit, et dont il devait si souvent, avec toutes les grâces de son pinceau et l’éclat triomphant de sa couleur, retracer la charmante image.


EMILE MICHEL.