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aiguisée encore, comme autrefois, de dévotion, mais avec un ragoût nouveau de sensibilité et d’enthousiasme[1].

La république napolitaine se fonda dans l’illusion et dans les fêtes. « Naples, écrivait Championnet, présente en ce moment le spectacle de Paris en 1789 et 1790. » Mais il fallait, pour ainsi dire, saisir cette république dans son essor, et l’organiser en une matinée. Un retour offensif des Bourbons, des Anglais, des lazzaroni était inévitable. Il importait que Naples, si elle voulait être libre, fût à même de se défendre. Championnet s’y employa de toute son intelligence, de tout son cœur, fier de sa victoire, pour sa patrie, mais attaché aussi à son œuvre, rêvant non d’un amour de passage, mais de noces justes et durables. Il tenta, par conviction, pour Naples, ce que Bonaparte avait entrepris, par politique, dans la Cisalpine. Après celle de Bonaparte, sa renommée est la plus grande que les Français aient laissée en Italie : elle ne fut que d’une aurore. Aucune raison d’Etat, aucun calcul d’ambition n’en ont terni la pureté.

Ce rude soldat aimait l’ordre. Il le voulait avec justice. C’était, au témoignage d’un Italien, « un homme de bien, c’est-à-dire quelque chose de plus qu’un homme de génie. » Il appela autour de lui tout ce qu’il crut généreux, à son image, et il en forma le gouvernement provisoire de la république. « Vous êtes enfin libres, dit-il, le 24 janvier, dans une proclamation aux Napolitains ; votre liberté est le seul prix que la France veut retirer de sa conquête, et la seule clause du traité de paix que l’armée de la République vient jurer solennellement avec vous… Que le peuple se rassure sur la liberté de son culte ! que le citoyen cesse de s’alarmer sur les droits de la propriété !… » Mais « malheur à qui refusera de signer avec nous ce pacte honorable !… Il sera traité en ennemi public. La guerre contre ceux qui rejettent la liberté est à mort, ils seront exterminés. »

Championnet pouvait tenir ce langage sans hypocrisie ; sa parole ne cachait aucune équivoque ; la liberté à laquelle il conviait les Napolitains était la seule que les peuples puissent aimer avec dignité, qu’ils aient jamais aimée avec dévouement, la liberté par eux, pour eux, fondée sur le respect de l’indépendance nationale. Il fit désarmer les lazzaroni. Il commanda le miracle de saint Janvier, qui s’accomplit avec déférence.

  1. Voir Michelet, La Renaissance, I. I ch. I.