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nouvelles une impulsion féconde. Des compagnies de navigation transporteront en Europe tous ces articles, produits abondamment et à bon marché par la main-d’œuvre jaune, en inonderont nos marchés, en écraseront nos cours.

La réalisation de ces ambitieuses visées est proche. Les Chinois, frappés des succès remportés sur eux-mêmes par ces frères jaunes, naguère si dédaignés et si méprisés, semblent prêts à se laisser guider par leurs vainqueurs ; réconciliés par une même haine contre les Européens, Chinois et Japonais s’entendront pour prendre sur le terrain économique une revanche éclatante de leurs humiliations passées. Les Japonais joueront en Chine le rôle des Anglais dans l’Inde ; répandus dans tout le pays, ils seront partout maîtres et directeurs ; avec la main-d’œuvre chinoise, ils exploiteront les capitaux chinois, ils feront du pays tout entier un centre de production intense. Mais s’ils modifient la physionomie du sol, ils ne changeront pas le caractère des habitans : les Célestes assisteront, intéressés, mais apathiques, à la transformation de leur antique patrie ; ils dédaigneront d’étudier eux-mêmes les procédés et la civilisation des « Barbares » ; ils se laisseront conduire par leurs frères jaunes, et cette direction que les Japonais sauront leur imposer sera si douce qu’elle ne les réveillera pas de leur éternel sommeil.


VII

Cette mise en valeur de la Chine par les Japonais sera un fait accompli à l’heure où, dans cinq ans, les wagons russes pénétreront jusqu’à Hankow. Il n’est pas douteux que le gouvernement du tsar obtienne du Fils du Ciel toutes les facilités nécessaires pour exporter par le Transsibérien les marchandises et les produits chinois. Il arrivera ainsi qu’en développant la production chinoise, les Japonais travailleront pour les chemins de fer russes. La rémunération des capitaux énormes engloutis dans l’exécution de la grande voie asiatique ne peut être assurée que par un mouvement commercial considérable entre la Chine et l’Europe. Déjà l’exploitation des premiers tronçons du Transsibérien a donné des résultats inespérés : en quatre mois (1896) la section Tcheliabinsk-Omsk a transporté 320 000 tonnes de marchandises et 231 000 voyageurs ; l’affluence a été si grande qu’il a fallu construire des baraquemens pour les émigrans obligés d’attendre