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à une seule idée, comme à un maigre fil traversant tout le poème, les scènes si diverses, si riches de vie variée, que j’ai introduites dans Faust ! » Et il explique qu’il n’a jamais cherché à « incarner une abstraction », mais à transformer ses « impressions » en peintures vivantes. Plus tard encore, à mesure qu’il avance dans la rédaction de sa seconde partie, il interprète à son bon famulus le morceau dont il lui fait lecture, ou revient de temps en temps sur sa conception générale. Eckermann admire comme s’il comprenait. Ses remarques révèlent d’ailleurs les bornes de son esprit. Ainsi, le 17 février 1831, Gœthe lui montre le manuscrit du second Faust. Eckermann le contemple avec respect, s’étonne de sa masse, et présente cette observation dont on goûtera la candeur :

— Voilà ce que vous avez écrit depuis six ans que je suis ici, et cependant toutes vos autres occupations ne vous ont permis d’y donner que très peu de temps ! On voit comme une œuvre grossit, même quand on se borne à n’y ajouter qu’un peu de temps en temps.

Puis, pour dire mieux, il reprend, avec autorité :

— Dans cette seconde partie, on voit apparaître un monde bien plus réel que dans la première.

Et Gœthe, enchanté, d’expliquer aussitôt :

— C’est naturel. La première partie est presque tout entière consacrée à la peinture d’émotions intimes et personnelles : tout part d’un individu engagé dans certaines idées, agité par certaines passions ; la demi-obscurité de cette partie peut avoir pour les hommes son attrait. Dans la seconde partie, presque rien ne dépend plus d’un individu spécial ; là paraît un monde plus élevé, plus large, plus clair, plus libre de passions, et l’homme qui n’a pas cherché un peu, qui n’a pas en lui-même quelques-unes de ces idées, ne saura pas ce que j’ai voulu dire. »

Enfin, — pour abréger ces citations cependant instructives, — le 6 juin 1831, Gœthe attire l’attention d’Eckermann sur le fameux passage de la conclusion : « Il est sauvé, le noble membre du monde des méchans esprits… » Et il en dégage le sens en ces termes :

« Ces vers contiennent la clef du salut de Faust : dans Faust a vécu une activité toujours plus haute, plus pure, et l’amour éternel est venu à son aide. Cette conception est en harmonie parfaite avec nos idées religieuses, d’après lesquelles nous sommes sauvés non seulement par notre propre force, mais aussi par le