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n’aboutit guère qu’à fixer — bien approximativement — la date de la conception ou de la rédaction des divers morceaux du poème. Or, les recherches faites dans ces dernières années parmi les archives de Weimar ont éclairci et fixé, avec une stricte minutie, cette chronologie : les pauvres philologues en sont donc pour leurs frais d’hypothèse, de rapprochemens, de déductions, et l’on les traite à présent de « vieillis » et de « démodés ».

Par-dessus la question du sens général du poème, des dates précises de sa composition, de ses rapports avec les légendes de magiciens qui ont étonné le monde depuis les origines du christianisme, de ses relations avec la foi chrétienne, avec les divers systèmes philosophiques du temps présent et du temps passé, il en est une autre — une question de préséance, celle-là, et pour ainsi dire de protocole — qui ne laisse pas de tourmenter beaucoup d’esprits dévoués à la hiérarchie : Faust est-il vraiment un « poème mondial » (Weltgedicht), comme la Divine Comédie et Hamlet ? N’est-il qu’une œuvre temporaire, image de l’époque qui l’a vu naître, produit d’un talent heureux plutôt que d’un génie universel, émancipé des lois du temps et de l’espace ? ou bien encore est-il, par excellence, l’œuvre de son pays, est-il pour l’Allemagne ce que l’Odyssée, par exemple, est pour la Grèce antique, ce que Don Quichotte est pour l’Espagne ? Hélas ! pas plus que sur les autres, les critiques n’ont pu se mettre d’accord sur ce problème d’étiquette ! Les fanatiques répondent par l’affirmative, en s’efforçant de varier les formules de leur admiration. Les détracteurs soutiennent la thèse opposée, et les bons argumens ne leur manquent pas. Les premiers affirment : « Faust est notre poème allemand central, la tentative la plus grandiose et la mieux réussie de résoudre poétiquement l’énigme du monde et de la vie, un poème tel qu’aucune autre nation n’en peut montrer l’égal en profondeur et en abondance d’idées réalisées en images plus naïves et plus vivantes[1]. » Les autres[2] répondent : «… Faust tient des monologues infinis, dispute avec Wagner et Méphistophélès, lequel les raille tous deux. De tous les grands mots et des déclamations de Faust, il ne sort aucune grande action, pas même l’essai d’en commettre quelqu’une. Sitôt qu’il entre dans la vie, il tombe du haut du rôle mondial qu’il récite pour séduire la première fillette venue — et même de la façon la plus triviale —

  1. Fr. Strauss.
  2. Le P. Baumgartner.