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instant par les chefs de la Réforme qui, comme on sait, ne furent pas toujours très scrupuleux dans le choix de leurs instrumens, il les obligea à le désavouer, par les scandales de sa conduite et par le cynisme de ses propos. Luther déclara, dit-on, qu’il n’y avait en lui « qu’un diable hautain, orgueilleux et ambitieux, qui veut acquérir de la gloire en ce monde, malgré Dieu et sa parole et aux dépens de sa propre conscience et du prochain » ; Mélanchton le fit expulser de Wittemberg. Après cette équipée, il erra pendant quelque temps, vagabond, poursuivi, misérable, à travers l’Allemagne et les Pays-Bas. Il mourut mystérieusement dans un bourg du Wurtemberg.

A la distance où nous en sommes, un tel personnage nous semble indigne d’intérêt. Nous pouvons pourtant concevoir, — ayant assisté aux fusées de gloire que savent tirer les bons charlatans, — qu’une certaine curiosité se soit attachée à ses hâbleries, à ses blasphèmes, à ses tours de passe-passe, à ses mésaventures, à ses vagabondages. De son vivant, Georges Sabellicus, dit Faustus junior, qui s’intitulait, d’après Tritheim, « Source de nécromancie, astrologue, magicien habile et heureux chiromancien, agromancien, habile en hydromancie », fut probablement beaucoup plus célèbre et plus populaire que sa légende écrite ne le fait supposer. Partout où il avait passé, l’on parlait de lui : on répétait ses bons mots ; on aggravait le sens de ses propos audacieux ; ses fanfaronnades devenaient des réalités ; d’honnêtes personnes, auxquelles il racontait ses prétendus miracles, finissaient par croire de bonne foi qu’ils s’étaient accomplis en leur présence, et leur prêtaient l’autorité du témoignage. Ce fut ainsi, j’imagine, que certaines anecdotes, dont il était le héros, se répandirent et s’amplifièrent en courant de bouche en bouche : ainsi, celle de la chevauchée merveilleuse sur un tonneau rempli de vin que des garçons tonneliers sortaient du caveau d’Auerbach, à Leipzig, pour le porter dans la rue ; celle des ivrognes auxquels apparaît le mirage d’une vigne chargée de raisins mûrs, qui saisissent goulûment les belles grappes et, la fantasmagorie terminée, s’aperçoivent que chacun tient son propre nez dans sa main ; ainsi beaucoup d’autres, pour la plupart facétieuses, et d’un comique assez innocent. Des lettrés, auxquels on racontait ces historiettes, s’en amusaient ou s’en étonnaient, et les consignaient dans leurs écrits, soit par curiosité des faits du jour, soit parce qu’elles leur fournissaient un bon prétexte à moraliser. Le moment arriva où elles constituèrent un ensemble à peu près