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de Trêves sur Sarrelouis ou allait opérer, vers Sarrebruck, sa jonction avec le reste de la première armée.

Le commandement rendu à Bazaine faisait l’objet de tous les commentaires. Beaucoup, se fondant sur le mérite du maréchal, y voyaient un gage de succès. Car on était unanime à déplorer la mainmise par l’Empereur et le major général sur la direction des affaires. Certains, par politique, se réjouissaient de voir restituer à Bazaine, tardive d’ailleurs et incomplète, une autorité que réclamait pour lui l’opinion publique. La disgrâce où il avait paru à son retour du Mexique, bien qu’il eût commandé ensuite le 3e corps à Nancy, puis la Garde impériale, l’avait rendu cher à l’opposition. Ses partisans l’exaltaient, se plaignaient tout haut des mécontentemens qu’on lui avait donnés, en le mettant à l’écart au début de la campagne.

Sur la fin de la nuit, Du Breuil fut appelé de nouveau à la Préfecture et chargé, à sa grande joie, d’une mission spéciale. Les avant-gardes de la première armée prussienne ne se trouvaient plus qu’à quelques kilomètres de Sarrebrück. Il reçut l’ordre de porter au général Frossard tout ce que le major-général avait pu recueillir de renseignemens sur les forces ennemies. Steinmetz, disait-on, allait apparaître sur la Sarre avec les têtes de colonnes du VIIe corps (Zastrow) et du VIIIe corps (Gœben). Et l’armée du prince Frédéric-Charles n’était pas loin.

Il prit, à l’aube, le train pour Forbach.

Aussitôt arrivé, il s’informa. Un officier d’ordonnance, rencontré à la sortie de la gare, put le renseigner. Le 2e corps avait opéré la veille au soir le mouvement prescrit pour le matin. Les troupes occupaient donc leurs nouveaux emplacemens. On s’attendait à être attaqué d’une minute à l’autre. Le quartier général était encore à Forbach. Du Breuil y trouverait à coup sûr le général Frossard.

Il prit le chemin de la ville, croisa en route un escadron de dragons. Droits en selle sur leurs chevaux couverts de boue, avec leurs basanes raidies, leurs manteaux blancs tournés au jaune pisseux, leurs sabres rouillés, ils avaient l’air d’une horde de barbares, la longue moustache pendante sous le casque terni. L’orage de la nuit avait laissé sur la route des traces de son passage. Du Breuil enjambait de grandes flaques, des ruisselets. À chaque pas, il rencontrait des isolés, de petits détachemens, la tunique souillée, le képi déformé par la pluie. Tous avaient