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entre les pins et les collines de granit. Bientôt les simples planches recouvertes d’une couche uniforme, sont remplacées par des bois travaillés ; des clochetons, des portiques, compliquent les quatre murs primitifs ; une ornementation polychrome succède aux procédés grossiers d’autrefois et des constructions s’élèvent conçues d’une manière originale dans leur recherche d’un effet complétant artificiellement le paysage. Peu à peu, ce goût naissant devient plus souple et plus intime. Enfermés dans leurs étroites maisons pendant les grands froids, les paysans et les pêcheurs s’ingénient à mettre une gaîté des choses autour d’eux : leurs meubles, leurs instrumens de travail, leurs traîneaux s’enjolivent de reliefs et d’images ; de patiens brodeurs recouvrent leurs vêtemens ; ils ont appris à ciseler les métaux et étalent aux jours de fête une profusion de bijoux étranges, d’un travail rare. C’est toute une production d’un luxe primitif qui prouve, chez les habitans de Scandinavie, un désir d’entourer d’un peu d’élégance leur existence aventureuse[1].

Seulement les Suédois sont restés longtemps confinés dans cet art domestique. Le stimulant de l’influence religieuse, qui seul aurait pu lutter contre leur indifférent particularisme, devait leur manquer toujours. L’église luthérienne n’encouragea jamais l’art qui n’était pour elle qu’une forme du luxe qu’elle proscrivait : les simples salles de prêche, les chapelles de bois lui suffisent longtemps ; quand elle se décide à affirmer extérieurement sa puissance, suivant l’exemple des pays catholiques, elle leur emprunte à la fois l’idée et les procédés d’exécution. L’Europe entière se couvrait de basiliques somptueuses, signes manifestes de la richesse et de l’autorité du catholicisme : la Suède, à son tour, voulut des cathédrales qui diraient la puissance de son église, mais elle s’appropria simplement les modèles que lui offraient la France et l’Allemagne. Ses deux principaux monumens d’architecture religieuse sont dépourvus de tout caractère national. Des légendes compliquées tentent bien d’attribuer la construction de la cathédrale de Lund à un géant Finn, d’authentique race de demi-dieux Scandinaves, réduit par les premiers conquérans de Suède à l’état de tailleur de pierres : Finn, en tout cas, savait la tradition romane et s’y conformait docilement.

  1. Sans exagérer l’importance de ces essais décoratifs, il est bon de rappeler que M. Courajod a retrouvé, dans certains détails d’ornementation Scandinave, la forme primitive de quelques motifs définitivement développés par l’art gothique.