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de Ripelta. Descendant l’escalier de marbre circulaire, traversant le Tibre dans un bac, on abordait la rive ombragée, d’où un chemin se dirigeait vers Saint-Pierre qu’on atteignait à travers champs. C’était dans les beaux jours d’octobre une des plus douces promenades pour qui connaissait bien Rome, et savait en jouir. Tout ce vaste espace des Prati a été livré à la plus vulgaire spéculation, et, comme ailleurs, elle n’y a trouvé que la ruine. On parvient aujourd’hui aux Prati par un pont aux piles tubulaires d’une singulière et incontestable laideur, dont les hauts parapets interceptent la vue. Elle n’existe plus cette perspective si habilement ménagée à l’extrémité de la galerie du palais Borghèse et que connaissaient bien tous les voyageurs. Dans la plaine on a construit quelques palazzi, d’immenses casernes, des maisons à cinq ou six étages de la plus médiocre apparence ; une énorme construction, destinée au palais de justice et située du côté du Vatican, avance lentement ; de grands espaces vides et pierreux, des bâtisses commencées, abandonnées, inachevées, offensent et attristent les regards. Toute verdure a disparu.

De la terrasse du Pincio comme de la villa Médicis, on avait naguère un de ces aspects merveilleux tels que Rome en offrait jadis un si grand nombre aux yeux et à l’âme. Le regard s’étendait par-dessus la place du Peuple, les Prati déserts et verdoyans jusqu’au Vatican et à Saint-Pierre. Le palais et la basilique paraissaient isolés dans leur splendeur et c’était justice : « Là, dit expressément M. Hermann Grimm, l’humanité moderne a pris naissance ; sans le travail séculaire qui a rayonné des limina apostolorum où serait, se demande-t-il, notre protestantisme ? Le souvenir de Saint-Pierre nous reporte par la pensée à ces temps de l’Eglise primitive qui précédèrent tout partage de secte, toute lutte contre un clergé. De ces lieux sont partis ces ouvriers énergiques qui ont su transformer en un peuple capable et digne de civilisation ces mêmes Germains dont l’empire, avec toute son habileté, n’avait pu faire que des soldats. Allemagne, France, Angleterre, nous devons à Rome et au christianisme notre développement spirituel, et ce ne sont donc pas les seuls Romains qui, en présence de tels monumens, ont le droit d’élever leurs esprits et leurs cœurs. L’Italie, si elle veut transformer sa capitale, doit tenir compte de tous ceux qui savent estimer à son prix le rôle qu’a joué Rome dans l’évolution historique et religieuse, de tous ceux qui voient dans ses édifices autant de symboles à la