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d’entre eux possèdent peut-être à un même degré, mais parce qu’il avait quelque chose de plus pratique dans l’esprit, de plus net et de plus décidé dans l’exécution. Il ne s’embarrassait pas dans les théories et dans les systèmes, bien qu’il fût aussi habile qu’un autre à les inventer et à les exposer ; mais il savait s’en affranchir au besoin pour se montrer avant tout un homme d’action, résolu, courageux, obstiné, marchant à son but sans que rien pût l’en détourner. On le lui a reproché, nous lui en faisons un mérite. Il n’avait pas la mobilité de l’esprit espagnol : il savait, soit par l’expérience de l’histoire, soit par une disposition heureuse de sa nature, que la persévérance est la meilleure et la plus féconde des qualités politiques. La dernière fois qu’il a été appelé aux affaires, il s’est trouvé aux prises avec la plus grande difficulté que l’Espagne ait traversée depuis longtemps : elle n’en est pas encore sortie. Nous voulons parler de l’insurrection de Cuba et des Philippines. Il a eu bientôt pris son parti de la résistance, et ce n’est pas de cela que nous le félicitons, car tout autre homme d’État espagnol aurait fait de même à sa place ; mais, après avoir adopté un système, il s’y est tenu avec une fermeté et une vigueur que rien n’a pu ébranler. Des défaillances se sont produites autour de lui. Il s’est vu, pour des motifs que nous n’avons pas à juger, abandonné par plusieurs de ses amis. Un terrible assaut lui a été livré. Il s’est déclaré prêt à quitter le pouvoir si la Reine régente acceptait sa démission, mais il s’est refusé à rien changer dans sa manière de gouverner au dedans, de soutenir la lutte contre l’insurrection au dehors. La reine Christine lui a maintenu sa confiance, et il a vaillamment continué l’œuvre entreprise. Mais lui-même sentait que, dans cette lutte acharnée, ses forces s’épuisaient, et il disait volontiers que cette campagne politique serait pour lui la dernière. Il approchait de soixante-dix ans ; l’âge de la retraite lui semblait venu. Son seul désir était de couronner sa longue existence en maintenant Cuba et les Philippines sous la domination espagnole : il était prêt, après cela, à prononcer le Nunc dimittis.

Nous n’essaierons pas de prévoir quelles seront pour l’Espagne les conséquences de la disparition de M. Canovas. La reine perd incontestablement un de ses meilleurs conseillers ; il lui en reste d’autres entre lesquels elle aura à choisir ; nul encore ne peut dire quel sera son choix définitif. Il paraît peu probable que le pouvoir soit, au moins immédiatement, enlevé aux conservateurs : ce serait faire trop d’honneur au coup de pistolet d’Angiolillo. Le ministre de la guerre, général de Azcarraga, qui n’est pas seulement un habile administrateur militaire,