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les esprits généreux ; et c’est un lieu commun de l’éloquence athénienne que les services rendus à la cité par l’accusateur qui livre aux juges les coupables, comme il sied à un fidèle gardien de l’ordre public. Cela s’appelait emphatiquement « porter secours aux lois » ; ces mots, qui reviennent souvent dans les plaidoyers attiques, rendent bien le devoir civique qu’on croyait accomplir en recherchant les occasions de dénoncer les abus et d’assurer partout le triomphe de la légalité. On devine, cependant, à quels excès devait conduire un pareil système. Malgré la responsabilité qu’on encourait en accusant et les peines auxquelles on s’exposait en cas d’échec, la tentation était trop forte de se faire valoir auprès du peuple par une attention scrupuleuse à l’avertir des moindres manquemens, et les délations se multipliaient, faisant la lumière sur toute sorte de scandales, mais forgeant aussi des crimes imaginaires et réduisant les honnêtes gens à vivre dans une perpétuelle insécurité. L’empressement à dénoncer était d’autant plus grand qu’on avait chance, par là, de s’enrichir. Il existait notamment, à côté des orateurs, une catégorie d’hommes que l’on confondait facilement avec eux, et pour qui le métier de délateur était une source de revenus : c’étaient les sycophantes. N’ayant ni la suite dans les desseins ni la hauteur de vues des politiques de profession, sans idées générales sur la conduite des affaires, leur unique occupation était d’épier les personnages en vue pour essayer de les prendre en faute ; ils se faisaient payer très cher leur silence, ou, si l’on acceptait la lutte, c’étaient de leur part, dans l’assemblée, devant les tribunaux, des protestations de dévouement à la démocratie, un hypocrite étalage de civisme qui, trompant les naïfs, grandissaient leur influence et consolidaient leur pouvoir. Plus d’un, à force de chantage, arrivait à la fortune ; on en citait qui, dans leur jeunesse, avaient gardé les troupeaux et qui, venus à la ville aussi légers d’argent que de scrupules, y avaient, en peu de temps, amassé des richesses considérables.

Chose étrange ! ces calomniateurs n’étaient point jugés trop sévèrement à Athènes. On ne les aimait pas, mais on les souffrait comme un mal nécessaire. N’étaient-ils pas, à leur manière, des soutiens de l’État ? On les appelait les « chiens du peuple » ; ils faisaient bonne garde autour des lois ; et, comme ceux auxquels ils s’en prenaient de préférence étaient les riches, plus portés à s’affranchir de la règle commune, ils passaient aux yeux de la