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mots n’avait pas la rigueur complète et la précision absolue qu’elle n’a d’ailleurs même pas acquises de nos jours. Les idées flottaient en quelque sorte autour d’eux, toujours prêtes à se substituer les unes aux autres par une espèce de calembour inconscient dont l’auteur pouvait quelquefois être la victime. De plus, les termes employés pour parler d’un objet pouvaient naturellement lui faire supposer une sorte de personnalité plus ou moins semblable à celle de l’homme, dont on ne se formait pas non plus une conception bien précise. Il se retrouve des traces de cet état d’esprit dans la poésie contemporaine, dans les personnifications moitié voulues, moitié inconscientes, à demi littéraires, à demi mythiques de quelques-uns de nos écrivains. On a très bien relevé chez Victor Hugo cette faculté de création des mythes qui jaillissait chez lui avec une abondance et une vigueur bien rares à notre époque en ce genre d’invention[1]. Quelques phrases fort employées parmi nous, comme « le soleil se lève » ou « le soleil se couche », nous font comprendre la confusion qui a pu s’établir. Des expressions grecques comme Ζεὺς ὕει, ou latines comme sub Jove frigido nous reporteraient au temps où Zeus et Jupiter n’étaient encore que des noms du ciel. À l’origine, la légende n’est qu’un mot, « un de ces mots nombreux, dit Max Müller, qui n’ont qu’un cours local et perdent leur valeur si on les transporte en des endroits éloignés ; mots inutiles pour l’échange journalier de la pensée, monnaie falsifiée dans les mains de la foule, qu’on ne jette point cependant, mais qu’on garde comme curiosité et comme ornement, jusqu’à ce que l’antiquaire le déchiffre après bien des siècles[2]. » On sait comment le soleil, l’aurore, l’orage ont servi à expliquer, de façon plus ou moins durable, des mythes bien nombreux, et, sans doute, trop nombreux. Endymion, par exemple, fut un des noms du soleil et désigna plus particulièrement le soleil couchant. Autour d’un même son deux groupes d’idées s’étaient formés, l’un naturaliste, l’autre mythique, beaucoup moins distincts toutefois que nous ne les ferions aujourd’hui, et l’un remplaça l’autre. Les différens sens d’un même terme ont aussi donné naissance à des mythes différens par une sorte de

  1. Voir, en particulier, l’étude de M. Renouvier.
  2. Essai sur la mythologie comparée, trad. De M. G. Perrot, p. 106.