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tribunaux. Cela signifie que les juges prirent sur la direction des affaires une influence égale à celle de l’assemblée. A celle-ci les orateurs qui avaient la faveur du peuple, faisaient voter toutes les mesures qu’il leur plaisait ; de ceux-là ils obtenaient la condamnation de leurs ennemis, soit en se portant eux-mêmes accusateurs, soit en chargeant de ce soin un ami ou un client. Lorsqu’on étudie leur rôle au IVe siècle, et déjà même au temps de Périclès, on ne peut séparer ces deux formes de leur activité ; l’orateur, à Athènes, ne s’en tient pas à la politique proprement dite : il est tout ensemble un homme d’Etat et un justicier.

Par là il possédait un pouvoir énorme qui, au dedans, s’étendait à tout, qui, au dehors, compromit plus d’une fois la fortune d’Athènes par la terreur qu’il inspirait aux généraux en campagne.

C’est un curieux conflit que celui qui existe en permanence, chez les Athéniens, entre orateurs et hommes de guerre. Comme ceux à qui le peuple confiait les fonctions de stratège faisaient à peu près tous partie de la noblesse ; un premier dissentiment naissait ainsi de leur origine, et de la sympathie qu’on leur prêtait pour les institutions aristocratiques de Sparte, pour lesquelles beaucoup, d’ailleurs, ne dissimulaient pas leurs préférences. On ne pouvait, cependant, s’empêcher de les élire à cause de leur science de l’art militaire, et aussi à cause de leur richesse : une des conditions pour être stratège était de posséder de grands domaines en Attique ; il était naturel qu’Athènes choisît pour conduire ses armées ceux qui étaient le plus intéressés à sa prospérité matérielle et au maintien de l’intégrité de son territoire. On les nommait donc, et on les prorogeait dans leur commandement, tout en suspectant sans cesse leur loyalisme. Mais ce qui surtout excitait contre eux le parti populaire et ses chefs, c’étaient leurs insuccès : le moindre échec était considéré comme une faute, et toute faute cachait une trahison. Le général malheureux ne savait que trop ce qui l’attendait au retour, et souvent il aimait mieux tenter l’impossible que d’avouer une impuissance qui devait se changer en crime aux yeux d’appréciateurs passionnés et prévenus. Ce fut, en 413, ce qui perdit l’armée de Sicile. Il faut lire dans Thucydide le navrant exposé des craintes de Nicias, à la pensée de lever le siège de Syracuse, qu’il sait ne pouvoir aboutir. Démoralisés par une série de défaites, épuisés par un long séjour, sous un soleil torride, dans cette plaine marécageuse