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REVUE. — CHRONIQUE.

force même de la logique. Les choses se passeront comme dans une guerre où, lorsqu’il a réussi à prendre la position capitale, tout le reste tombe en un clin d’œil à la discrétion du vainqueur. La nature immanente le veut ainsi. En cela M. Jaurès n’a certainement pas tort, et sa victoire, s’il venait à la remporter, révolutionnerait tant de choses importantes qu’il deviendrait aisé d’en changer en même temps de plus petites : c’est à peine si on y ferait attention. L’attitude qu’il a prise et que ses amis ont adoptée avec lui se justifie donc très bien. Ils ont imposé leur programme aux radicaux, en les obligeant à ajourner le leur ; et c’est à quoi les radicaux ont dû se plier, parce que, sans les socialistes, ils ne peuvent rien. Ils se sont résignés à faire le jeu de ces derniers, non sans arrière-pensée peut-être, mais avec une humble soumission. On peut regarder les scrutins de la Chambre ; les noms des radicaux se confondent toujours avec ceux des socialistes ; et assurément cette association ne s’est pas formée en vue de faire triompher le programme radical, puisque nous venons de constater qu’il a été presque complètement abandonné, sinon comme mauvais en soi, au moins comme inopportun et « vieux jeu ». Il faut autre chose aujourd’hui, on veut à tout prix du nouveau. Tout le monde sait qu’il n’y en a pas en politique et que, par exemple, il n’y a rien de plus ancien que les revendications socialistes, nous disons même de plus antique ; mais on prend facilement pour neuf ce qui n’a pas servi depuis longtemps. Les générations qui se succèdent ignorent ce qu’ont fait leurs devancières, et celui qui le leur rapporte passe à bon marché pour un grand inventeur. Le programme radical est usé ; le programme socialiste a tout l’attrait de la nouveauté.

Ce programme, M. Jaurès a tenu à l’exposer à la Chambre dans une de ses parties essentielles, avant qu’elle se séparât. Il lui a fallu pour cela trois séances. Comme il s’agissait d’une interpellation, ces séances se succédaient de semaine en semaine, et l’interpellateur a parlé trois samedis de suite. Il a rencontré un contradicteur non moins éloquent que lui, et plus ferme, plus précis, plus condensé, mieux documenté, surtout plus sensé, dans la personne de M. Paul Deschanel. Ç’a été une belle joute oratoire : M. Deschanel y a obtenu le plus brillant succès de sa carrière. La Chambre a ordonné l’affichage de son discours. S’il n’y avait là qu’un échange de paroles sonores, nous nous contenterions de relater le fait, et nous passerions outre mais il y a plus assurément, et il vaut bien la peine de s’y arrêter un moment.

M. Jaurès s’est assigné une très grande tâche. Jusqu’à ce jour les so-