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nous demandons en trop au contribuable. Nous imposons par exemple la circulation des voyageurs et des marchandises, mais, en même temps, l’usage des permis gratuits se généralise ; les compagnies de chemins de fer en délivrent 7 millions par an, soit un coulage de bien des millions et une diminution sérieuse de recettes ; chacun s’ingénie à ne pas payer sa place, comme à éluder les taxes de la commune ou de l’Etat.

On conçoit que les contribuables ouvrent des fissures pour rattraper quelques parcelles des impôts anciens et nouveaux que leur réclame le fisc, quand on essaye seulement d’énumérer leurs charges, quand on pense que la terre, la maison, les meubles, les portes, les fenêtres, le magasin, le métier lui-même, l’instrument de travail, le chien, le cheval, la bicyclette, la voiture, le bateau, la personne, tout ce qui vit, tout ce qui produit, paie les impôts directs, argent, prestations, service ou taxe militaire. Les transactions, au lieu d’être encouragées, sont gênées ; les ventes immobilières, si admirablement simplifiées dans des pays neufs, font surgir chez nous une nuée de formalités qui entraînent des frais, des complications sans limites, et, par suite, des procès ; les frais de notre justice n’ont d’égales que ses lenteurs. La circulation des produits et celle des personnes est guettée, saisie, et non seulement les voyageurs paient jusqu’à des droits de voiture publique, mais l’agriculteur ne peut vendre, en France même, les fruits de son travail sans acquitter pour beaucoup d’entre eux des droits de douane intérieurs, droits de sortie et droits d’entrée, plus lourds encore que les impôts directs auxquels ils s’ajoutent. Tous nos voisins ont supprimé les droits d’octroi ; la France les conserve et les augmente. Alors que Bordeaux voit diminuer la clientèle de ses vins ordinaires, il lui faut payer pour les introduire à Paris un droit énorme. L’ouvrier de Paris doit doubler le prix de son vin ou de son cidre, s’il ne veut pas boire de l’eau-de-vie ; on le condamne à l’alcool et on ralentit du même coup l’expansion des récoltes de nos campagnes. Un paysanne peut pas expédier en ville une livre de viande ou de beurre, un poulet, un lapin, un œuf, sans être arrêté à l’octroi, comme au moyen âge, sans avoir à payer, en outre, des droits d’abri, ou de marché, de stationnement, de poids public, de nettoyage. Certaines villes, Saint-Étienne notamment, ont deux octrois, double ceinture. Nos campagnes ainsi voient se resserrer simultanément leur marché extérieur et leur marché intérieur ; et les consommateurs s’étonnent