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situation. Ils seront institués au même titre, non pour se combattre et s’espionner, mais pour atteindre plus sûrement la vérité par un commun effort. Ils rédigeront un unique rapport où leurs opinions se produiront sous les mêmes garanties[1]. »

L’inculpé aura-t-il le droit de prendre son expert partout où il jugera à propos, comme cela a lieu en matière civile ?

Cette solution ne nous effraierait pas outre mesure. Nous reconnaissons cependant que l’inculpé aura toute garantie, même s’il est forcé de choisir son expert sur la liste dressée chaque année par les Cours d’appel, pourvu que cette liste ait la composition la plus large et la plus libérale, qu’elle comprenne d’office un certain nombre de personnes qualifiées par leurs fonctions et leurs travaux, telles que les professeurs des facultés des sciences, de médecine et de pharmacie, etc.

Mais il est un point que les auteurs des projets de loi actuellement soumis aux Chambres ne doivent pas perdre de vue : c’est que l’expertise contradictoire peut aboutira un formel désaccord entre les experts ! Il importe que ce cas soit prévu ; il l’a été en Allemagne où un tribunal spécial a été institué pour vider le différend, et procurer enfin aux juges un document scientifique irrécusable. C’est là une partie délicate et essentielle de cette réforme de l’expertise, que tout le monde à l’heure actuelle semble désireux de faire aboutir.

Nous nous rallions, quant à nous, au système que le docteur Brouardel, il y a plus de dix ans, exposait en ces termes[2] : « En Allemagne, disait-il, toutes les pièces sont, en cas de contestation, envoyées à une commission scientifique qui porte le nom de tribunal des superarbitres. Si deux experts fonctionnent en France, représentant deux intérêts opposés, il nous semble impossible qu’une commission analogue ne soit pas instituée… On n’assisterait plus à ces discussions déplorables qui, chez nous, font soumettre aux jurés, le plus souvent incompétens dans les questions scientifiques, la solution des problèmes dont dépend le sort de l’accusé[3]. »

  1. Ce système a été récemment défendu à la tribune du Sénat par l’honorable M. Thézard. (Voyez le Journal officiel du 28 mai 1897.)
  2. Voyez, Réforme des expertises médico-légales. par Brouardel. Paris, J.-B. Bailière, 1884, BN. T P 77.
  3. Sur l’organisation de l’expertise contradictoire et d’un tribunal de super-arbitres, voyez Drioux, Expertises dans les législations étrangères. Paris, Pichon. 1886, in-8o, pièce BN. T f3 94. « Il faut, dit M. Drioux : 1° élever le niveau des études médico-légales : — 2° constituer le contrôle des expertises au moyen du superarbitrage : — 3° élever le tarif des honoraires des experts. »
    Ces idées ont été reprises récemment par M. le Dr Ladreit de la Charrière. (Voir le journal le Droit du 18 novembre 1896.) Le Dr de la Charrière demande notamment la création au ministère de la justice d’une commission permanente chargée de statuer en dernier ressort sur les expertises dans toutes les affaires criminelles.