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mieux défini. Il semble que le cabinet actuel aurait dû lui donner satisfaction, et c’est bien ce qui a eu lieu pendant quelques mois. M. Delcassé votait alors fidèlement pour M. Méline ; on le considérait comme un des membres les plus sûrs de la majorité. Il s’est dégoûté de cette attitude. Probablement, le ministère avait trop duré aux yeux de ceux qui aiment le changement. On savait bien qu’une conspiration ténébreuse avait été ourdie contre lui, et nous en avions dit quelque chose. Mais tout se passait dans l’ombre, en silence, en cachette, et personne n’aurait cru que parmi ces hommes masqués figurait M. Delcassé. Il a bien fallu se rendre à l’évidence. C’est lui qui, subitement, a escaladé la tribune, et a poussé contre le ministère la botte secrète depuis longtemps préparée. Dès ses premières paroles, on était infiniment loin du Bazar de la Charité.

Qu’a reproché M. Delcassé au ministère ? De s’appuyer sur la droite. C’est une accusation qu’on lançait déjà contre le ministère dont M. Delcassé lui-même a fait partie, et il est probable que, dans l’avenir, on l’adressera encore à quelques autres. M. Denys Cochin, membre de la droite, a tenu à s’en expliquer au nom de ses amis, et il a fait une réflexion pleine de bon sens. Il faut bien, a-t-il dit, que la droite vote avec quelqu’un. À moins qu’on ne la supprime, ou qu’on ne lui interdise de voter, nous ne voyons pas comment elle pourrait sortir de cette alternative qui n’a, qui ne peut avoir que deux termes : voter avec le gouvernement, ou voter avec l’opposition. Quand la droite vote avec l’opposition, celle-ci le trouve très bon, très légitime, très moral, tout à fait convenable, digne d’encouragement, digne d’éloge. Elle ne se sent pas du tout compromise par ce contact. Mais aussitôt que la droite vote avec le gouvernement, c’est autre chose. Les mêmes radicaux, les mêmes socialistes qui acceptaient de si bonne grâce ses voix pour eux, et qui les sollicitaient au besoin, déclarent que le gouvernement est compromis par elle, et qu’un pareil scandale porte une atteinte intolérable à la probité politique. Ce qui est excellent dans un sens est détestable dans l’autre. Le mot de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà, » est dépassé. Il semble qu’aux yeux des radicaux et des socialistes, il y ait, vers le milieu de la Chambre, des Pyrénées invisibles, avec une moralité différente suivant que les mêmes faits se passent d’un côté ou de l’autre de cette frontière idéale. Les vieux conservateurs, les membres des anciens partis royaliste ou impérialiste, les ralliés eux-mêmes, doivent siéger à droite et voter à gauche. Alors tout est dans l’ordre. Autrefois, les choses se passaient effectivement ainsi. La droite votait toujours avec