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favorable au jury, a fait récemment[1] en ce sens des efforts qui paraissent avoir obtenu des résultats plus que médiocres. A notre avis, la distinction absolue du fait et du droit est une pure chimère. D’ailleurs on ne trouverait jamais aujourd’hui une Chambre française acceptant de retirer au jury l’appréciation des circonstances atténuantes. Cette solution nous semble donc de tous points inadmissible.

C’est pour l’autre alternative que nous nous prononçons nettement. Au lieu de résister au courant qui porte les jurés à s’instruire plus complètement de l’affaire, sous le double aspect de la culpabilité de l’accusé et de la peine qui peut l’atteindre, nous sommes d’avis de céder à ces tendances, qui sont après tout sages et légitimes, de les régler, et d’établir sur des bases nouvelles entre les deux magistratures une collaboration plus franche et plus complète.

Cette nécessité a été si bien sentie dans différens pays d’Europe, et notamment en Allemagne, qu’elle a donné naissance à une institution nouvelle, issue du jury, mais distincte de lui : celle des tribunaux d’échevins. Ces tribunaux reposent sur le principe suivant : réunion complète et absolue des juges populaires et des juges permanens, assis côte à côte, délibérant ensemble et devenus collègues pour l’affaire qu’ils doivent juger en fait et on droit de concert.

Nous reparlerons plus loin de cette institution, à laquelle nous souhaitons voir donner une place dans nos institutions judiciaires. Nous la croyons heureuse et féconde ; elle a été expérimentée avec grand succès à l’étranger. Elle est l’aboutissement final de la tendance qui se manifeste partout aujourd’hui à organiser une collaboration plus sincère et plus intime entre les deux magistratures.

En effet, à l’exclusion de l’Espagne, dont l’essai malheureux est peu digne d’attention, la plupart des pays aujourd’hui tendent à repousser la distinction subtile et impossible du fait et du droit[2]. À ce point de vue, un exemple significatif nous est

  1. C’est une loi du 20 avril 1888 qui a organisé le jury en Espagne. Voyez : Essai sur le jury criminel en France et dans les États modernes, par M. F. Gineste, p. 233 et suiv.
  2. Le code de procédure pénale de Belgique admet dans certains cas seulement les jurés et les juges à délibérer en commun, suivant des règles compliquées, imitées de la législation qui a été en vigueur en France, et sans succès d’ailleurs, jusqu’à l’année 1831.