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VII

D’après le Code, nous le savons, la tâche du juré et celle du magistrat sont essentiellement différentes. Le juré ne juge pas, il se borne à répondre par oui ou par non sur la question de culpabilité. Le verdict n’est donc qu’un témoignage, un acte suprême d’information, un constat décisif ; ce n’est pas un arrêt. Le juré ne peut songer aux conséquences de son verdict, à la peine qu’il entraînera, sans sortir des limites de son mandat…

Or, nous croyons l’avoir démontré[1], tout cela n’est qu’un leurre. Les jurés songent à la peine encourue par le condamné ; la loi même, après le leur avoir défendu par un de ses articles, les y convie en leur soumettant la question des circonstances atténuantes, qui n’est autre que la question de l’adoucissement de la peine. Et, grâce à ce procédé, le juré ne peut, ni ignorer complètement la loi, ni la comprendre clairement.

En effet, à l’audience on parle de la peine, des articles de loi visés par la poursuite, mais on en parle mystérieusement, à mots couverts, à bâtons rompus, comme l’on parle de choses prohibées… Le juré comprend mal, il est inquiet, il ne peut obtenir d’instructions précises ; il appelle, pour être éclairé, le président auquel la loi fait un devoir de se taire… Nous demandons qu’il soit mis fin à cette comédie étrange, qu’un parti clair et décisif soit enfin adopté.

Il y a deux alternatives : on peut tenter de faire machine arrière, de remonter le courant qui porte de plus en plus le juré à faire besogne de magistrat[2], de ramener la célèbre distinction du fait et du droit à sa pureté primitive. En ce cas, il faudrait d’abord que la question des circonstances atténuantes ne fût plus posée au jury, mais fût remise, comme en Belgique[3] et en Autriche, à la décision des magistrats. L’Espagne, pays peu

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1896, p. 149 et suiv.
  2. C’est « par une véritable usurpation de fonctions », dit M. Tarde, que le verdict « prend de plus en plus la couleur d’un arrêt » et que le jury « se substitue en réalité à la Cour d’assises. »
  3. En Belgique, aucune question concernant les circonstances atténuantes ne peut être posée au jury qui ainsi se trouve, un peu plus exactement, juge de la culpabilité et non de la peine. En 1887, M. Thonissen s’est prononcé pour le maintien de cette règle, et la commission l’a suivi à l’unanimité. Les juges sont donc, en Belgique, seuls chargés d’apprécier les circonstances atténuantes, et s’ils les admettent, ils doivent les préciser.