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criminels ; ce principe étant loyalement accepté, veiller à ce qu’il ne devienne pas lettre morte dans notre loi, et dans ce dessein réformer profondément les méthodes défectueuses qui servent aujourd’hui à l’appliquer.

C’est à ce dernier parti que nous nous rattachons nettement. Nous croyons à la nécessité du principe du jury, et à sa nécessité absolue, non provisoire. Nous ne l’acceptons pas seulement « faute de trouver à le remplacer. » Nous pensons au contraire que dans le plan des futures juridictions pénales construites sur des données plus exactes, plus scientifiques que les nôtres, le juge extrait du peuple aura toujours sa place, sa mission nécessaire et distincte. Sans doute M. Tarde, et plusieurs criminalistes avec lui, affirment que l’expert succédera au jury « comme le jury a succédé à la torture et la torture aux ordalies… » Tel n’est point notre avis. L’expert, le magistrat et le juré sont des forces dissemblables dont le concours est nécessaire. Comment ces forces pourraient-elles s’exclure, se substituer les unes aux autres, alors que chacune d’elles apporte à l’œuvre commune une vertu qui lui est propre : l’expert sa science sur des points donnés ; le juge sa connaissance des lois et son expérience des affaires ; le juré sa fraîcheur de conscience, son impression juste du sentiment public ?

Ce sont là trois rôles bien distincts : tâchons qu’ils composent un ensemble harmonieux. A cet effet, confions-les aux plus aptes et aux plus dignes. Telle est la première donnée du problème : c’est celle dont nous allons nous occuper en cherchant les meilleurs procédés de recrutement des jurés et des magistrats qui composent la Cour d’assises.


II

Tout le long de ce siècle, on a dit couramment : « Ayez de bons jurés, vous aurez de bonne justice. » En d’autres termes, la réforme du jury ne consisterait guère qu’en un choix plus heureux des citoyens qui le composent[1]. Cette idée simple et

  1. C’était déjà l’avis de Sieyès. Voir la Notice sur sa vie écrite par lui-même. Bibliothèque Nationale L 27n 18956. — Voir aussi les curieuses circulaires de François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur en l’an VIII — Oudart se plaignait, dès l’an XIII, que le soin de choisir les jurés fût laissé à un commis. B.N. Inventaire F 20-882.
    M. Adolphe Guillot, dans le Jury et les mœurs, demande que le législateur commence par agir en fermant l’accès du jury aux incapables, aux ignorans… Tout récemment, M. Albert Bataille écrivait que le premier devoir d’un gouvernement fort sera de substituer aux jurés de hasard qui rendent la justice au petit bonheur une élite, une sélection, des gens de sens et d’expérience